AllemagneA 96 ans, une ex-secrétaire d’un camp nazi tente de fuir son procès
La disparition de l’accusée juste avant l’ouverture de l’audience a pris tout le monde de court.
Une ancienne secrétaire d’un camp de concentration âgée de 96 ans a pris la fuite avant l’ouverture de son procès avant d’être retrouvée quelques heures plus tard, provoquant la stupéfaction dans le tribunal où elle doit répondre de complicité de meurtre dans plus de 10’000 cas. «Je peux dire que l’accusée a été retrouvée (…) Un médecin va établir sa capacité à être placée en détention et la Cour déterminera si le mandat d’arrêt peut être exécuté ou si elle est épargnée», a déclaré la porte-parole du tribunal d’Itzehoe, Frederike Milhoffer, au terme d’une matinée rocambolesque.
Le procès d’Irmgard Furchner n’a donc pas pu commencer ce jeudi et se trouve reporté au 19 octobre, a dit le président du tribunal de cette ville du nord de l’Allemagne, Dominik Gross. Vingt minutes après l’ouverture de l’audience, il avait dû faire cette annonce inhabituelle: «l’accusée est en fuite (…) Un mandat d’arrêt a été émis» à son encontre. «Elle a quitté son foyer (pour personnes âgées) ce matin. Elle a pris un taxi» pour rejoindre une station de métro de la périphérie d’Hambourg, avait précisé la porte-parole.
«Mépris»
Son avocat, Wolf Molkentin, était présent dans le prétoire mais n’a fait aucune déclaration aux journalistes. Cette fuite, qui selon le magazine Der Spiegel avait été annoncée par l’accusée dans une lettre adressée au président de la Cour, a suscité la consternation, notamment du président du Centre Simon Wiesenthal qui traque les nazis encore en vie.
«Suffisamment en bonne santé pour fuir, suffisamment en bonne santé pour aller en prison!», a twitté Efraim Zuroff.
«Cela montre un mépris pour les survivants et l’Etat de droit», a réagi Christoph Heubner, le vice-président du Comité Auschwitz. «Même si cette femme est très âgée, le tribunal n’aurait-il pas pu prendre des précautions?» s’est-il interrogé. Jusqu’ici, les quatre anciens gardes ou employés de camps nazis condamnés depuis dix ans en Allemagne s’étaient tous assis dans le box des accusés.
Seule femme impliquée dans le nazisme à être jugée depuis des décennies en Allemagne, Irmgard Furchner ne s’est pas exprimée sur les faits qui lui sont reprochés avant son procès. Un centenaire, ex-gardien du camp nazi de Sachsenhausen, doit également être jugé à partir de jeudi prochain, près de Berlin. Jamais encore l’Allemagne, qui a longtemps montré peu d’empressement à retrouver ses criminels de guerre, n’avait jugé d’aussi vieux nazis.
Agée au moment des faits de 18 à 19 ans, Irmgard Furchner, qui vit dans une résidence pour personnes âgées près de Hambourg, doit être jugée par une Cour spéciale pour jeunes pour «complicité de meurtre dans plus de 10’000 cas», selon le parquet.
Détenus
L’accusation lui reproche d’avoir participé au meurtre de détenus dans le camp de concentration de Stutthof, dans la Pologne actuelle, où elle travaillait en tant que dactylographe et secrétaire du commandant du camp, Paul Werner Hoppe, entre juin 1943 et avril 1945. Dans ce camp proche de la ville de Gdansk (Dantzig à l’époque) où périrent 65’000 personnes, «des détenus juifs, des partisans polonais et des prisonniers de guerre soviétiques» ont été systématiquement assassinés, a rappelé le parquet.
L’avocat Christoph Rückel, qui représente depuis des années des survivants de la Shoah, a assuré sur la chaîne régionale publique de télévision NDR, qu’elle avait «tapé à la machine les ordres d’exécution et de déportation et apposé ses initiales». A l’issue d’une longue procédure, la justice avait estimé en février que la nonagénaire était apte à comparaître malgré son grand âge.
Les auditions, prévues pour s’étaler jusqu’en juin 2022, devraient se limiter à quelques heures. Septante-six ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la justice allemande continue de rechercher d’anciens criminels nazis encore en vie. Huit dossiers impliquant d’ex-employés des camps de Buchenwald et de Ravensbrück notamment, sont actuellement examinés par différents parquets allemands, a dit à l’AFP l’Office central pour l’élucidation des crimes du national-socialisme.
Quelque 4000 femmes ont été gardiennes dans les camps de concentration, d’après des historiens. La jurisprudence de la condamnation en 2011 de John Demjanjuk, un gardien du camp de Sobibor en 1943, à cinq ans de prison ferme permet désormais de poursuivre pour complicité de dizaines de milliers d’assassinats n’importe quel auxiliaire d’un camp de concentration, du garde au simple comptable.