FootballLa première défaite de Murat Yakin dit aussi ses intentions
La Suisse s’est inclinée 2-1 contre l’Angleterre après avoir mené au score. Dans son souci d’adaptation, il y a encore du travail.
- par
- Daniel Visentini Londres
Il aura fallu ce voyage à Wembley pour que Murat Yakin essuie sa première défaite à la tête de la sélection suisse, qui a mené au score. Pas grave. Derrière la brutalité d’une fin de mi-temps conclue sur l’erreur fatale de Fabian Frei, et malgré le but de Kane ensuite pour donner la victoire aux Anglais, les enseignements. Le caractère amical de la rencontre invite forcément à prendre du recul, à moins considérer la forme que le fond. Contre l’Angleterre, ce sont précisément les intentions qui importaient à Yakin.
Après l’automne glorieux que l’on sait et cette qualification pour le Mondial devant l’Italie, c’est justement au Qatar que le sélectionneur pense. Après l’urgence, la réflexion: comment grandir encore? La réponse a commencé par se dessiner à Rome déjà, lors du nul contre la Nazionale: une Suisse dont la plasticité doit être la force.
Là où Petkovic voulait une équipe qui impose son idée en permanence, ce qui lui a permis d’asseoir une assurance et de convoquer des résultats exceptionnels, Yakin modélise un système plus souple, adaptatif. C’est ce mouvement-là qui s’installe au cœur de la sélection helvétique. L’habileté de Yakin, c’est de marier un acquis - le tropisme du jeu - et un besoin - la malléabilité.
Identification des séquences
Ici, personne n’a tort ou raison, les deux approches se justifient. Elles portent toutes deux la patte d’un sélectionneur. Avec Murat Yakin, cela s’articule autour d’un système qui autorise plusieurs séquences durant un match, avec le souci de l’adaptation.
En première période, contre cette Angleterre finaliste de l’Euro, la Suisse a contrôlé les opérations. Ce qu’apporte Yakin à la sélection helvétique, c’est une aptitude à identifier les «moments» d’une rencontre et de s’y conformer. Lui, il le résume comme cela: «J’aime que l’on soit capable de sentir un match.» Sentir le match, comme il le dit, c’est reconnaître le temps fort qui arrive, agir en fonction; c’est de voir le temps faible s’installer et de savoir comment se comporter.
La variation des intentions
À Wembley, cette variation sur le thème des intentions a parfaitement été interprétée durant toute la première mi-temps. La Suisse était capable de varier justement bloc bas et bloc haut. Pour gêner les Anglais ou pour fermer les espaces. Il aura fallu attendre la 40e minute pour le premier tir cadré, bloqué facilement par Omlin (tir de Walker-Peters).
Avant cela, la Suisse avait géré avec brio son temps fort. Il n’a pas été très long, il a duré cinq minutes, de la 20e à la 25e. Mais durant ce laps de temps, montée d’un cran, la Suisse pressait, avait le ballon dans le camp anglais et on a vu: un tir de Xhaka (pas en grande forme), une tentative de Widmer, une frappe contrée de Shaqiri, une volée de Frei déviée sur la latte par Pickford, une autre frappe de Widmer. Et, bien sûr, l’ouverture du score.
Après un décalage de Xhaka vers Widmer et un centre contré, l’inspiration à la sortie de Shaqiri: un centre millimétré pour une tête magistrale d’Embolo (22e). La plasticité de la Suisse sur ces 45 minutes: un début de match sérieux, quelques variations bloc haut, bloc bas, une rigueur pour bloquer Kane sur les longs ballons (merci Akanji), une volonté offensive qui se dessine vers la 20e minute, une pression, un but inscrit sur cette séquence haute et un retour au contrôle. Dit comme cela, on devrait croire que la Suisse de Yakin peut tout se permettre. Ce n’est pas le cas. Dans son souci d’adaptation aux situations, la fragilité existe. «Sentir le match», comme le dit le sélectionneur, c’est savoir à quel moment prendre des risques ou pas. Pour avoir fait tout juste jusque-là, la Suisse aurait dû regagner le vestiaire pour la pause avec un but d’avance.
Frei, le maillon faible
Mais au cœur des intentions helvétiques, il y a parfois des scories et ce sera le chantier de Yakin jusqu’au Mondial, en fin d’année. À Londres, le problème a pris les traits de Fabian Frei. Il est peut-être là par défaut, aligné en défense centrale parce qu’Elvedi se relève du Covid, ou parce qu’Omeragic est mobilisé avec les M21. Le Bâlois aura été, avec sa relance désastreuse dans les arrêts de jeu de la première période, à l’origine de l’égalisation anglaise (Shaw, 45e).
Frei aura ensuite porté comme un fardeau son erreur durant toute la seconde période. Mangé par Kane à la 52e, il n’aura dû qu’à l’arrêt d’Omlin de ne pas porter le poids d’un autre but. Idem à la 70e, toujours en retard sur Kane.
«Malheureusement, des erreurs individuelles nous privent d’un meilleur résultat, que nous aurions mérité», résumait Yakin. Les pertes de balle, les mauvais choix. La fragilité est là. La Suisse, en seconde mi-temps, n’avait pas à identifier le temps faible: elle nageait dedans le plus souvent. Alors, sous la pression, elle concédera même ce penalty, Zuber étant rattrapé par la VAR pour un bras malheureux, Kane transformant en force.
Murat Yakin a vu du bon et du moins bon à Londres. Il va l’utiliser. Il y a ce deuxième match amical, mardi soir à Zurich contre le Kosovo. Il y aura ensuite les deux périodes Ligue des nations (quatre matches en juin, deux en septembre). La feuille de route reste belle, malgré cette défaite amicale.
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