FranceManuscrits de Céline retrouvés: Gallimard veut jouer un rôle «exclusif»
L’éditeur français Gallimard se dit prêt à jouer son rôle d’«éditeur exclusif» des œuvres du sulfureux écrivain dont des manuscrits ont refait spectaculairement surface.
Disparus depuis 77 ans et alors que beaucoup les pensaient perdus à jamais, quelque 6000 feuillets ont été récupérés fin juillet par les ayants droit de Louis-Ferdinand Céline (1894-1961) et de sa veuve, Lucette Destouches, décédée en 2019: Me François Gibault, 89 ans, pénaliste et écrivain proche de «Madame Céline» et Véronique Robert-Chovin, 69 ans, qui fut l’élève de danse de celle-ci.
«Il s’agit d’une découverte exceptionnelle et sans précédent», explique à l’AFP Émile Brami, libraire et biographe de Céline. «Céline n’a cessé de répéter que ces manuscrits avaient été volés. Cette découverte prouve qu’il disait la vérité». «Lucette (Destouches) pensait que des textes sortiraient après sa mort», se souvient Véronique Robert-Chovin. «Mais on ne pensait pas que ça sortirait aussi brutalement et de façon aussi rocambolesque».
L’existence de ces documents a été rendue publique la semaine dernière par le quotidien français «Le Monde». Ils avaient été conservés pendant 15 ans par Jean-Pierre Thibaudat (un nom de plume), critique dramatique et ancien journaliste, qui affirme se les être vu remettre par un de ses lecteurs, dont il n’a pas révélé l’identité.
«Céline accordait une telle importance à ces manuscrits», rappelle l’éditeur historique de l’écrivain, Antoine Gallimard, auprès de l’AFP, que «Gallimard doit jouer le rôle qui a toujours été le sien depuis 1951 (…): l’éditeur exclusif de son œuvre littéraire.»
«Chaînon manquant»
Que contiennent ces documents? Outre une légende d’inspiration médiévale, «La volonté du roi Krogold», on trouve des centaines de feuillets de deux textes inédits, l’un sur la guerre de 14 et l’autre sur la période londonienne de Céline, expliquent les rares personnes à avoir vu les manuscrits.
Surtout, ils contiennent «le chaînon manquant» de «Casse-Pipe», l’œuvre inachevée de Céline, estime Émile Brami. «Il rétablit la composition originelle de l’œuvre, entre «Mort à crédit» et «Voyages au bout de la nuit», renchérit David Alliot, éditeur et expert de Céline. Se trouvent également parmi les feuillets une lettre inédite du poète Robert Brasillach, qui collabora avec le régime de Vichy, à Céline et des documents utilisés par l’écrivain pour ses pamphlets antisémites.
Une version alternative complète de «Mort à crédit», l’un des principaux romans de Céline, est destinée par les ayants droit à être remise en dation à la BNF qui, en 2001, avait acquis le premier jet de «Voyage au bout de la nuit».
Les manuscrits nécessitent «un travail de recherche et d’analyse pour établir un appareil critique le plus rigoureux possible», recommandent les deux spécialistes. «L’édition est aussi une affaire de patience. Le travail doit être mené de façon très scrupuleuse», abonde Antoine Gallimard, qui rappelle la «priorité donnée» à sa maison d’édition «pour la publication de tous les écrits inédits à venir» de l’auteur par sa veuve.
«Dilemme moral»
«Mon dilemme moral et intellectuel est de savoir quel texte publier et sous quelle forme», explique à l’AFP François Gibault. «Alors que Céline ne l’avait pas fait de son vivant, même avant de se les faire voler».
Les documents, dérobés à la Libération de Paris alors que l’écrivain antisémite et son épouse étaient partis en exil, ont eu un parcours incertain avant d’arriver entre les mains de Jean-Pierre Thibaudat qui a remis l’ensemble des manuscrits à l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC) où il était convoqué. Il est encore concerné par une plainte pour «recel de vol» déposée par les ayants droit.
Antoine Gallimard s’est dit pour sa part «très rassuré» que les ayants droit aient récupéré les manuscrits: «c’est une véritable garantie, tant pour la conservation que pour la publication et la mise en valeur des manuscrits». La maison Gallimard se tient prête «dans la mesure où les ayants droit de l’écrivain nous auront fait part de leur accord», précise Antoine Gallimard. Me Gibault estime quant à lui «naturel» de rencontrer «l’éditeur historique» de Céline en premier, possiblement début septembre.