Guerre en UkraineÀ Irpin, pas de couloir humanitaire, mais une planche pour seul salut
Dans cette banlieue de Kiev, les civils tentent de fuir la ville face à l’avancée des forces russes. Le pont ayant été détruit par l’armée ukrainienne, ils traversent la rivière comme ils peuvent.
La planche de bois de 50 cm de large est à moitié enfoncée dans l’eau glacée de la rivière Irpin. En cinq jours, 10’000 personnes sont déjà passées dessus, pour fuir cette petite ville bombardée par les Russes, dernier verrou avant Kiev en venant de l’ouest. Et sur cette planche, tout doit passer: des femmes, des bébés, des vieillards, des chiens, des poussettes, des valises à roulettes, des vélos, des blessés sur des civières et même des corps roulés dans des tapis.
Le pont de béton, béant au-dessus d’eux, a été détruit délibérément par les forces ukrainiennes. «Un ami nous a emmenés en voiture jusqu’au pont et nous l’avons traversé. Il a caché sa voiture et repartira à pied», explique Tetyana, 51 ans, après avoir traversé sur la planche. «Ça tirait de partout sur la route, mais nous sommes passés au travers», ajoute-t-elle en tirant sa valise.
«J’ai très peur de ces tirs, je me suis dit si je meurs sur le coup, alors c’est comme ça, mais si je suis blessée aux jambes, il faudra que je rampe pour y échapper et ça, c’est pas bon du tout», explique-t-elle calmement. Mais Tetyana et les autres sont encore loin d’être à l’abri. Il leur reste encore un talus et un carrefour à passer, complètement à découvert.
La veille, deux civils y sont morts, leur corps gisant au milieu de leurs bagages, ont constaté des journalistes de l’AFP. Huit habitants fuyant Irpin ont été tués dans la seule journée de dimanche, dont une famille avec ses deux enfants, selon les autorités. Pour aller au plus vite, chaque mouvement compte: courir et abandonner ce qui encombre.
L’aumônier prend le relais avec sa camionnette
À ce niveau, la route qui sert aux évacuations est jonchée de poussettes vides, de vélos, de valises, de caddies et même d’animaux domestiques errants. Une fois passé le carrefour, encore fumant de frappes russes, Vasyl Povoroznyuk, 49 ans, est là avec sa camionnette blanche pour prendre le relais. Cet aumônier des armées s’est porté volontaire pour organiser la navette entre ce premier point d’exfiltration et la zone sécurisée, deux kilomètres plus loin, à travers les bois et les bombes, un parking où attendent ambulances, psychologues et premiers secours.
«Je ne ressens ni peur, ni panique», assure l’aumônier-chauffeur, qui fonce à 100km/h à vide, sur la route en pleine forêt, pour aller chercher un nouveau groupe. «Ils ont besoin d’aide, si nous ne le faisons pas, qui le fera? C’est une question de vie ou de mort, plus nous pouvons en sauver, mieux c’est», dit-il sous son bonnet kaki.
Du chocolat pour les gamins
«Les enfants d’abord!» hurle-t-il au groupe de 30 évacués qui l’attend, en faisant la queue dans un calme déroutant, comme à la poste. «Allez petit héros», dit-il à un petit qui s’est enfui de chez lui avec une épée en plastique à la main, offrant l’une des barres de chocolat qu’il garde dans sa parka pour les distribuer aux enfants.
Avant de monter, la petite Ania, pas plus de 5 ans, doit se séparer de son père, parti chercher d’autres membres de la famille: «Papouchka, reste!» supplie-t-elle, agrippée à sa mère alors qu’un sifflement menaçant retentit depuis la forêt. L’explosion fait frémir. «Boom sec – c’est nous, sifflement puis boom sec – c’est leur artillerie» qui tire de plus loin, explique Vasyl.