CyclismeYannis Voisard: «Ça marche hyper bien pour moi»
Le Jurassien de 24 ans a remporté le plus beau succès de sa carrière samedi, sur le Tour de Hongrie. L’occasion d’en apprendre plus sur le coureur de Tudor, qui a trouvé l’équipe idoine pour se développer.
- par
- Robin Carrel
Yannis Voisard est sous le feu des projecteurs depuis quelques semaines. Le jeune Suisse est à l’image de pas mal de ses compatriotes: à maturation lente. D’autant qu’il est sur le point de boucler son Bachelor en biologie, tout en performant dans les pelotons professionnels, comme lors de sa belle victoire de samedi dernier à Dobogoko, en Hongrie, devant des stars comme Marc Hirschi et Egan Bernal. Interview d’un homme à la tête bien faite, dans un corps qui grimpe vite et bien.
Racontez-moi ce samedi victorieux. Ça devait être pas mal de gagner devant des coureurs comme Marc Hirschi ou Egan Bernal…
C’était au terme d’une montée assez longue - une dizaine de kilomètres – qui me convenait beaucoup mieux que le final pour puncheur de la veille, remporté par Hirschi. J’avais vraiment de très bonnes jambes et envie de tenter quelque chose, afin de ne pas attendre le sprint final. J’avais bien étudié le parcours auparavant et dans ma tête cet endroit-là, à deux kilomètres de l’arrivée, où je pouvais peut-être tenter ma chance. Tout dépendait des circonstances de course… J’avais déjà essayé à trois kilomètres pour me tester et voir comment ça répondait derrière, si on allait me laisser sortir ou pas. Et puis après j’ai vraiment tenté ma chance à deux kilomètres et ça a été presque fluide jusqu’à la ligne. Il ne fallait pas se poser de questions!
Marc Hirschi, avec le maillot jaune sur le dos, a filtré pas mal d’attaques. Il allait chercher tout le monde. Est-ce que votre place un peu plus loin au général a aidé?
C’est difficile à dire. C’est clair que le fait de ne pas être le plus proche de lui au général m’a aidé et j’ai joué là-dessus. Après, on a beau s’appeler Marc Hirschi, on ne peut pas sauter sur tout le monde non plus! Il reste humain. Je savais qu’il ne pouvait pas faire tous les efforts, donc il fallait être malin et tactiquement presque parfait dans le final. J’ai su bien jouer parce que quand je pars, c’est justement quand Ben Tulett (ndlr: 2e du général) tente de mettre une attaque et tout le monde était au rupteur. D’ailleurs, si on regarde la vidéo, je n’accélère pas vraiment, en fait. J’arrive juste à tenir le rythme, qui était déjà hyper élevé avec l’accélération de Bernal juste avant. Je savais que c’était certainement le bon moment pour tenter de sortir, parce que tout le monde avait besoin de souffler. Hirschi a regardé ses concurrents au général et ça, ça m’a permis de créer un petit écart.
Vous passez la flamme rouge, juste derrière, il y a des cadors… Ça fait pédaler plus vite? Quelles sont les sensations?
Bon, là, je suis en effort maximal… Donc à ce moment-là, je ne suis plus très lucide, je ne pense plus à quoi que ce soit! J’essaye juste de tenir le rythme, je ne peux pas pédaler plus vite. Il s’agit «juste» de ne pas trop ralentir, parce que ce sont les derniers moments d’une étape longue de cinq heures. Je n’ai plus grand-chose dans les jambes, je mets tout ce qu’il me reste, en espérant que ça tienne jusqu’à l’arrivée. Et quand ça a été clair, avec les écarts qui étaient suffisants, ça m’a permis de savourer. C’était vraiment un moment magique, quoi.
Votre plus belle victoire en carrière?
Oui. Clairement oui, c’est quand même une course de la catégorie «UCI ProSeries», donc c’est vraiment une grosse compétition.
C’est même toute votre saison qui est costaude. Cette victoire est presque une suite logique après votre 7e place au Tour de Sicile et la 18e au Tour de Romandie.
Depuis cet hiver, depuis que j’ai signé mon contrat professionnel avec l’équipe Tudor Pro Cycling, je progresse vraiment bien. Je suis très content. Après, j’ai aussi eu pas mal de réussite. Je n’ai pas eu de gros pépins de santé cet hiver, pas de chute non plus. Il y a donc aussi une part de chance là-dedans. Il faut que tout fonctionne bien, parce qu’on sait que le vent tourne vite, dans ce sport. Pour l’instant, je profite au maximum de pouvoir progresser sans trop de soucis. Comme je l’ai toujours fait dans ma carrière, je prends étape par étape, sans me prendre la tête. Ça marche hyper bien pour moi et c’est juste magnifique. Que du plaisir!
C’est là qu’on voit aussi l’importance d’équipes suisses à haut niveau comme Tudor, mais aussi Q36.5 et les inscriptions de Swiss Cycling aux deux principaux tours du pays.
C’est clair, ce n’est pas simple pour les jeunes Suisses d’aller se vendre à l’étranger. Surtout à l’époque actuelle… En plus, le cyclisme se mondialise et le niveau devient extrêmement homogène. Ça devient compliqué forcément, vu que les diverses équipes vont logiquement privilégier des coureurs de leur nationalité. Donc c’est clair que s’il n’y a pas d’équipes professionnelles en Suisse, c’est compliqué pour les coureurs suisses, à moins justement de faire des très grosses performances. Mais souvent, ces grosses performances ne sont possibles que si on est déjà dans une structure très professionnelle, comme c’est mon cas actuellement avec Tudor Pro Cycling! Les cyclistes de la génération 98 comme moi savent de quoi je veux parler… Après le retrait de IAM Cycling, il n’y avait plus grand-chose en Suisse, voire quasiment plus rien à part une ou deux équipes continentales. Maintenant, c’est nettement mieux.
Avec les études, l’armée… On dit que les espoirs suisses sont à maturité plus lente. Vous êtes passé par la formation Arkéa il y a deux ans, vous étiez encore un peu tendre?
Clairement. Je pense que je suis un bon exemple de tout ça. Parce que d’un côté j’ai eu pas mal de retard de croissance. J’ai toujours été un poids léger. Chez Arkéa, je n’avais pas du tout la maturité physique pour pouvoir être tout devant sur des courses internationales. Et en plus de ça, j’ai fait des études à côté. D’ailleurs, je vais terminer mon Bachelor en biologie en juin, à l’Université. Exercer ces deux choses combinées n’aide pas à percer très tôt. C’est ce schéma classique en Suisse de toujours se dire qu’il faut absolument faire quelque chose à côté du vélo, pour sécuriser son avenir et c’est une très bonne chose je pense. Il n’y a pas de miracle. C’est clair que si on fait quelque chose à côté du vélo comme des études ou autre, ça prend du temps. Ça, ça peut aussi empiéter sur la récupération, notamment. Et puis il y a aussi le développement physique qui peut être altéré. Après, bien sûr, je pense qu’il faut aussi savoir se laisser le temps et, au final, on voit bien que quand on se laisse le temps en y croyant et avec beaucoup de travail, on peut réaliser des choses magnifiques. Ce sont des choix de carrière, ce n’est pas simple… Je suis bien placé pour en parler, parce qu’il me reste en tout cas deux sessions d’examens normalement, en hiver et en juin. Ce sont toujours des moments assez durs dans la saison, des moments charnière, aussi. Surtout en hiver avec la préparation. Il faut être motivé et vraiment savoir pourquoi on le fait.
C’est venu quand le déclic? Ce jour de juin 2021, quand vous avez gagné une étape du «baby» Giro devant des coureurs comme Juan Ayuso, les jumeaux Tobias et Anders Johannessen ou encore Ben Healy (vainqueur samedi sur le Giro)?
Exactement. C’est pile ce moment-là. Comme je le disais avant, j’ai toujours été assez en retard au niveau de la maturité physique. Je n’avais jamais pu jouer la victoire sur des grosses courses comme ça auparavant. Et là, c’était la première fois où j’ai senti ce que ça faisait de gagner une épreuve de gros calibre. Eh bien c’est vraiment un sentiment… addictif! La seule chose dont on a envie après avoir gagné, c’est de regoûter à ces joies de la victoire. Ce jour-là a changé beaucoup de choses aussi, mentalement.
Vous avez fait des études en biologie pour mieux comprendre ou c’était juste une appétence pour ce domaine?
La biologie, c’est juste que je suis un passionné de la nature. Ça me plaît autant que le cyclisme. Donc si je devais choisir un des deux aujourd’hui, je ne saurais pas forcément quoi faire. Honnêtement, je choisirais plutôt le cyclisme parce que c’est clair que de la biologie, on peut en faire à 50 ans. Alors que le cyclisme à haut niveau, beaucoup moins (rires)!
Donc il va falloir faire un choix. Vous n’allez pas partir pour un double doctorat tout de suite!
Alors ça, c’est sûr que non. Après le mois de juin, je vais mettre ces études en pause. Franchement, j’aurai mon Bachelor en biologie et ce sera déjà pas mal. J’aurai le papier en poche et, après, je ferai le master à la fin de ma carrière, quand je serai plus tranquille. Le problème qu’il y a, c’est qu’on est quand même très peu sur place, en Suisse, en faisant du cyclisme à haut niveau toute la saison. Ça n’est pas compatible avec un master de biologie, où il faut être régulièrement dans un laboratoire.
Ce sera quoi la suite de la saison?
Là, une petite période de récupération, après ce bon bloc de courses de début de saison. Et après, normalement, le Tour de Suisse.