Avatar 2: le Zurichois qui fait saigner les Na’vis

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Cinéma«Avatar 2»: le Zurichois qui fait saigner les Na’vis

Pour réaliser toutes les blessures des héros d’«Avatar: la voie de l’eau», James Cameron a fait appel à un maquilleur suisse, Thomas Nellen.

Christophe Pinol
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Christophe Pinol
Les Na’vis, héros du film «Avatar: la voie de l’eau», actuellement sur tous les écrans romands.

Les Na’vis, héros du film «Avatar: la voie de l’eau», actuellement sur tous les écrans romands.

20th Century

Voilà déjà près de 25 ans que le Zurichois Thomas Nellen exerce son art à Hollywood, assurant les maquillages sur des superproductions comme «2012», «Tron: l’héritage» ou encore «Independance Day: Resurgence». La qualité de son travail lui a même valu l’estime de l’acteur Jeff Bridges qui en a fait son maquilleur attitré ces 20 dernières années. 

Là, c’est toutefois le réalisateur James Cameron qui lui a mis le grappin dessus pour concevoir toutes les blessures subies par les Na’vis, ces créatures peuplant la planète Pandora. Non seulement dans «Avatar: la voie de l’eau», sorti depuis mercredi, mais également sur le prochain volet de la saga (dont la sortie est déjà prévue le 18 décembre 2024), et même pour quelques scènes du 4e ((le 16 décembre 2026).

Habituellement plus impliqué sur les films «live action», le maquilleur suisse nous raconte son expérience sur un film aux effets spéciaux sidérants.

Comment vous êtes-vous retrouvé sur le film?

C’est le producteur David Valdes, avec qui j’avais travaillé sur le remake de «Point Break», qui m’a contacté pour me proposer le job. Pour le premier «Avatar», James Cameron avait travaillé toutes les blessures des Na’vis de manière digitale, directement sur les personnages modélisés en 3D. Mais il n’en était pas vraiment satisfait et pour ce film, il cherchait quelque chose de plus réaliste. L’idée était de concevoir toutes les coupures, cicatrices et différentes plaies sous la forme de sculptures destinées à être scannées et ensuite appliquées sur les personnages en images de synthèse. Le défi me semblait intéressant. J’ai dit OK, et le lendemain, je commençais à travailler. On était en 2018, et certaines personnes planchaient déjà sur des aspects du film depuis 5 ans!

Voilà déjà près de 25 ans que le Zurichois Thomas Nellen exerce son art à Hollywood, assurant les maquillages sur des superproductions.

Voilà déjà près de 25 ans que le Zurichois Thomas Nellen exerce son art à Hollywood, assurant les maquillages sur des superproductions.

DR

James Cameron vous a-t-il proposé de travailler sur toutes les suites prévues ou seulement sur «La voie de l’eau»?

Il m’avait d’abord proposé un contrat de 5 ans pour m’occuper des quatre suites mais je tiens trop à mon indépendance et je ne voulais pas rester bloqué autant de temps sur le même projet. Alors on s’était mis d’accord sur une durée de six semaines pour mettre tout le système de ce deuxième volet en place. Et puis on a un peu débordé (il rit).

Quelles ont été les premières étapes de votre travail?

Il a d’abord fallu lire le scénario. C’était déjà tout une histoire puisque le projet était tellement secret qu’ils ne voulaient pas le donner aux équipes du film. Tu devais donc aller le lire dans une pièce sécurisée, où tu laissais ton équipement électronique à l’entrée, et tu prenais des notes manuscrites sur les scènes qui se rapportaient à ton travail. Par exemple, lors d’une course-poursuite en forêt où l’un des personnages se fait tirer dessus et blesser par des éclats, je prenais une note pour demander des précisions: «S’agit-il de simples éraflures où les éclats ont-ils pénétré sous la peau?». Mais c’était vraiment particulier parce que comme tout le monde travaillait seulement avec ses notes, on avait finalement des souvenirs assez différents du scénario. Alors on comparait nos observations mais on avait parfois de la peine à comprendre qu’on parlait en fin de compte de la même scène, tellement nos perceptions étaient différentes… Ça n’a pas simplifié les choses.

Comment avez-vous élaboré les blessures?

Il a d’abord fallu en imaginer tout une variété et réfléchir à la façon dont ces Na’vis avaient pu se soigner. James voulait en connaître tous les détails. Dans le cas d’une blessure au couteau, il voulait savoir la taille de la lame, si celle-ci était émoussée ou affutée, ou même rouillée et avait pu provoquer une infection. Il voulait connaître la manière dont ils avaient réalisé leurs points de suture… J’ai imaginé du fil, des agrafes, et même des brins d’herbes pour les cas où ils avaient dû se soigner en forêt, loin de toute assistance médicale… Je lui avais même proposé une solution inspirée des pratiques d’une tribu amazonienne qui utilisait la morsure de fourmis en guise de points de suture: ils tenaient l’insecte par le corps, l’approchait de la plaie et lorsqu’il mordait, ils tournaient le corps pour arracher la tête qui restait sur la plaie, jouant le rôle d’agrafes. J’étais tout fier de lui proposer cette idée mais en fait il connaissait parfaitement la pratique et m’a expliqué qu’il n’aurait pas le temps, dans le film, de glisser une scène expliquant pourquoi certaines blessures étaient ornées de têtes de fourmis…

Voici des moulures pour les blessures que Thomas Nellen a imaginées pour «Avatar 2».

Voici des moulures pour les blessures que Thomas Nellen a imaginées pour «Avatar 2».

DR

Comment avez-vous fabriqué ces blessures?

Je commence par en réaliser une sculpture en cire. Puis je la noie dans du silicone avant de retirer la partie en cire pour obtenir un moule. Habituellement, pour des films «live action», je coule ensuite une combinaison de matériaux – une matière un peu flexible enrobée de plastique – qu’il suffit ensuite d’appliquer sur la peau de l’acteur. Avec des produits à base d’alcool, je fais alors fondre la couche de plastique pour que la prothèse vienne s’incorporer de manière invisible à la partie du corps en question. Mais là, comme les blessures étaient destinées à être scannées en 3D, j’ai utilisé du plâtre. Et chaque moulure était ensuite montée sur un petit socle. Au final, on en a fait 165 différentes, avec mon assistante Beate Petruccelli, certaines destinées à «Avatar: la voie de l’eau», d’autres au 3e volet, et même quelques-unes déjà pour le 4e. 

Vous avez donc finalement accepté de vous impliquer un peu plus?

Une fois arrivé au terme de mes 6 semaines prévues, j’étais loin d’avoir fini mais je devais rentrer en Suisse pour l’anniversaire de ma maman. Et James me dit: «Ok, on se revoit à ton retour alors?». Sauf que selon notre accord, on devait s’arrêter là… Mais j’avais trouvé ce travail passionnant et il m’a convaincu de rempiler pour un peu plus de 4 mois supplémentaires. J’ai alors pu lire le scénario du 3e volet… Au final, j’ai bossé 6 mois sur le projet mais je devais ensuite retrouver Jeff Bridges sur sa série, «The Old Man» (ndlr: la série est formidable, à voir sur Disney+). Quand Jeff m’appelle, j’abandonne tout. Je préviens toujours l’équipe d’un film avant de m’engager parce qu’on entretient une relation particulière. Il m’a pris sous son aile voilà quelques années et depuis, je suis là pour lui. Bien sûr, si je suis en plein milieu d’un truc important, il comprend que je doive finir mais sinon, ses projets ont la priorité.

Les séquences aquatiques ont-elles suscité des difficultés particulières?

Disons que dans son souci de réalisme, James voulait procéder à de nombreux tests, notamment par rapport aux blessures effectuées sous l’eau et voir comment le sang se diffusait en milieu liquide. J’ai alors conçu le moulage d’un dos avec une énorme balafre, qu’un de ses apnéistes pouvait enfiler à la manière d’un sac à dos et James a pu filmer la façon dont le sang se propageait sous l’eau pour le reproduire ensuite de manière fidèle en images de synthèse.

«Avatar: la voie de l’eau» est actuellement sur les écrans romands.

«Avatar: la voie de l’eau» est actuellement sur les écrans romands.

20th Century

Vous avez travaillé sur des œuvres très variées, du drame à la SF, en passant par le western… Dans quel genre vous sentez-vous le plus à l’aise?

Peu importe le genre. Ma spécialité, c’est quand même tout ce qui est barbes, postiches, moustaches et autres, comme sur «True Grit» avec Jeff, ou plus récemment sur le dernier Scorsese, «Killers of the Flower Moon». Mais «Avatar: la voie de l’eau», c’est le film où j’ai été le plus impliqué dans les effets visuels. Quand je travaillais par exemple avec Jeff sur «Sale temps à l’hôtel El Royale», pour une scène où il se faisait tabasser, mon maquillage était assez sommaire et servait surtout de base à l’équipe des effets visuels qui retravaillait ensuite la scène à l’ordinateur. Alors que là, mes blessures sont en 3D, elles ont de la texture, réfléchissent la lumière et elles apportent beaucoup de réalisme de ce côté-là. Je sors à peine de la projection – une salle pleine à craquer, 2800 personnes – et j’ai trouvé les effets absolument bluffants. J’ai aussi aimé la façon dont mes blessures avaient été utilisées: elles sont présentes mais sans être trop mises en évidence. Pour moi, c’est clairement l’expérience la plus intense et la plus satisfaisante que j’ai connu.

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