Indonésie – Des habitants expropriés payent cher le retour du Moto GP 

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IndonésieDes habitants expropriés payent cher le retour du Moto GP

Alors que les fans de moto se sont rués par milliers sur le nouveau circuit de Mandalika, les habitants de la zone dénoncent des expropriations sans compensations et des abus de la part des constructeurs.

Les habitants acculés dénoncent des violations des droits humains.

Les habitants acculés dénoncent des violations des droits humains.

AFP

L’île de Lombok a accueilli dimanche des milliers de fans pour la première course de Superbike sur un nouveau circuit moto en Indonésie, mais le projet touristique dont le circuit fait partie a été critiqué par l’ONU pour des expropriations forcées. Plusieurs villages ont été déplacés de gré ou de force et une quarantaine de familles restent bloquées au centre du circuit de Mandalika, résistant aux intimidations pour céder leurs terres.

Avec une population de plus de 270 millions d’habitants, qui se déplace surtout en deux-roues, l’Indonésie compte l’une des plus grandes communautés de fans de courses de moto sur la planète. L’épreuve de Superbike dimanche, sur le circuit de 4,3 km aux 17 virages, est un prélude à celle du Moto GP, la catégorie reine des Grands Prix de moto, qui se tiendra en mars 2022 à Lombok, île voisine de Bali. «Je suis venue pour voir le World Superbike. C’est vraiment cool et je peux à peine croire» que l’Indonésie a ce circuit, lance Rini Yuniarti, venue de Bali.

Avec le projet Mandalika, le gouvernement indonésien espère la création de milliers d’emplois et attirer jusqu’à 2 millions de touristes étrangers par an grâce au circuit de Moto GP et un complexe hôtelier dans une zone de plus de mille hectares bordée de plages de sable blanc. Mais le projet a donné lieu à de nombreux conflits entre les habitants expropriés et les autorités. Au centre du circuit, un panneau indique «cette terre appartient à l’Etat», mais Abdul Latif, 36 ans, est resté avec ses quatre enfants car il n’a pas reçu les compensations promises. «La vie est très difficile ici en ce moment (...) l’accès a été très restreint. Nous jouons au chat et à la souris avec la sécurité qui garde la zone». Les puits ont été asséchés pendant six mois et les vaches sont devenues maigres, dit-il.

Difficile d’aller à l’école

Un voisin âgé de 54 ans, Abdul Kadir, se plaint que les jeunes puissent difficilement aller à l’école car ils sont bloqués sur le chemin par la sécurité. Pour que le circuit soit prêt à temps, des évacuations forcées ont eu lieu et certains résidents ont été contraints d’accepter des compensations sous-évaluées, explique l’avocat spécialisé dans les droits humains Widodo Dwi Putro.

Sibawai, un fermier de 53 ans, a perdu l’essentiel de son terrain. Il raconte que les autorités ont essayé de l’expulser plusieurs fois. Mais en janvier 2021, il n’a pu s’y opposer. «Ils ont déployé quelque 700 policiers. J’ai essayé d’empêcher les bulldozers d’entrer sur mon terrain mais on m’a expulsé». De nombreux habitants ont dû récupérer les restes de leurs ancêtres enterrés dans la zone du chantier pour les transporter ailleurs.

Appel au respect des droits humains

Des experts mandatés par l’ONU ont appelé en mars le gouvernement indonésien et les entreprises impliquées dans le projet «à respecter les droits humains». Selon le rapporteur spécial sur les droits de l’homme Olivier De Schutter, ce projet «a donné lieu à des plaintes pour accaparements de terres, évictions de communautés autochtones de l’ethnie Sasak et intimidations et menaces à l’encontre de défenseurs des populations locales».

Plusieurs sociétés internationales, bien qu’associées au projet initial de trois milliards de dollars, ont démenti à l’AFP y prendre encore part, dont le constructeur Vinci et le Club Med. Mais le groupe Accor exploite un Novotel sur place et termine la construction d’un hôtel Pullman. Accor a indiqué à l’AFP ne pas avoir «connaissance de plaintes en cours qui viseraient le groupe» et souligne ne pas être propriétaire du terrain ou de l’hôtel qu’il gèrera pour la société publique indonésienne Indonesia Development Tourism Corporation (IDTC). La Banque asiatique d’investissement en infrastructure (AIIB), qui doit apporter 250 millions de dollars au projet, a réalisé sa propre étude et souligne ne pas avoir identifié de violations des droits de l’homme.

«Dix nouveaux Bali»

Lombok fait partie des «dix nouveaux Bali», les régions où l’Indonésie veut développer le tourisme en priorité. Cette île pauvre peine à se reconstruire depuis qu’un fort tremblement de terre l’a frappée en 2018 faisant plus de 500 morts.

Pour la plupart des habitants, les billets pour les courses de moto sont trop chers, et certains en sont réduits à regarder la course depuis une colline qui surplombe le circuit. Le risque de tremblements de terre et tsunamis qui pèse sur le site inquiète Maharani, un défenseur de l’environnement de l’ONG Lombok Research Centre. «Un glissement de terrain pourrait recouvrir le circuit. Et en cas de tsunami, il pourrait être submergé», dit-il.

Au centre du circuit, Abdul Latif n’a pas le cœur à regarder la course. «Je me sens abandonné et isolé. Comme un oiseau en cage».

(AFP)

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