Corruption en Afrique du SudL’ère Zuma passée au crible par quatre ans d’enquête
Les conclusions de quatre ans d’enquête sur la corruption d’État en Afrique du Sud sous l’ère Zuma, ont été finalement publiées mercredi.
Il a fallu plus de 5000 pages pour rendre compte de l’ampleur de la machination montée par l’ex-président et une sulfureuse fratrie d’hommes d’affaires. Après 400 jours d’auditions, plus de 300 témoins et l’examen de centaines de documents compromettants qui ont abouti à la mise en cause de près de 1500 personnes par une commission ad hoc, présidée par le juge Raymond Zondo, le constat est accablant.
«La +capture d’État+ a été une réelle attaque contre notre démocratie, elle a violé les droits de chaque homme et chaque femme dans ce pays», a déclaré le président Cyril Ramaphosa lors de la remise officielle du rapport à Pretoria, employant le terme utilisé dans le pays pour désigner les années de corruption rampante. Il avait estimé les montants détournés à l’équivalent de plus de 30 milliards d’euros.
Depuis janvier et la remise du premier des six chapitres, le juge Zondo démontre au gré de la publication de nouveaux pans de l’enquête comment l’ex-président Jacob Zuma, décrit comme «le pantin» du sulfureux trio d’hommes d’affaires d’origine indienne, les Gupta, a siphonné les caisses de l’État.
L’affaire qui tient les Sud-Africains en haleine depuis plusieurs années avec des audiences fleuves retransmises en direct à la télévision, doit désormais passer à l’étape judiciaire. La commission a un rôle consultatif mais ses conclusions peuvent être transmises au parquet.
Cyril Ramaphosa, qui a juré d’éradiquer la corruption en succédant à Jacob Zuma, annoncera dans quatre mois au Parlement l’ouverture d’éventuelles poursuites. Le juge Zondo a déjà recommandé l’ouverture de poursuites contre plus de 130 personnes, dont plusieurs anciens ministres. «Le chemin a été long (…) Il fut un temps où je n’étais pas sûr que ce jour arriverait», a-t-il avoué à la remise du rapport, évoquant des nuits sans sommeil.
Secousse
Jacob Zuma, 80 ans, est aujourd’hui en liberté conditionnelle pour raison médicale, condamné à 15 mois de prison pour avoir obstinément refusé de témoigner devant la commission d’enquête. Son incarcération en juillet avait provoqué une vague sans précédent d’émeutes qui ont fait plus de 350 morts.
La présentation finale du rapport survient quelques semaines après l’arrestation de deux des frères Gupta, au cœur du scandale. Atul et Rajesh Gupta, visés par un mandat d’arrêt international d’Interpol, ont été arrêtés début juin à Dubai.
La nouvelle a provoqué une secousse dans une Afrique du Sud engourdie par une désillusion envers les institutions, une justice jugée inefficace et une police réputée corrompue. Une demande d’extradition est en cours.
La richissime famille est accusée d’avoir infiltré le sommet de l’État grâce à sa longue amitié avec Jacob Zuma: influence sur les choix de ministres, pressions pour empocher des contrats publics, pillage des entreprises publiques (électricité, transports, aviation), avant de prendre la fuite.
Parvenir à présenter les deux suspects arrêtés devant la justice sud-africaine serait un coup d’éclat pour Cyril Ramaphosa, dans la tourmente après de récentes accusations de corruption. Le chef d’État, qui vise une investiture pour briguer un nouveau mandat à la présidentielle de 2024, fait l’objet d’une plainte déposée début juin. L’ancien chef des renseignements sud-africains, Arthur Fraser, l’accuse d’avoir dissimulé à la police et au fisc un cambriolage en 2020 dans une de ses propriétés, au cours duquel d’importantes sommes d’argent en liquide, dissimulées dans du mobilier, ont selon lui été volées.
À la tête d’une fortune personnelle, Cyril Ramaphosa, chahuté lors d’une récente apparition au Parlement, a reconnu qu’une somme lui avait été dérobée, tout en expliquant que l’argent était tiré de la vente d’animaux de sa ferme au nord de Johannesburg. L’opposition réclame qu’il se retire pour laisser place à une enquête.
L’inaction de Ramaphosa sous Zuma pointée du doigt
L’actuel chef de l’État est lui-même sur le gril pour une présumée passivité. Certaines de ses réponses à propos de ce qu’il savait des activités de corruption ont été «opaques» et «laissent malheureusement des lacunes importantes», selon le rapport.
Aurait-il pu agir à l’encontre de cette corruption? «L’abondance de preuves dont dispose cette commission suggère que la réponse est oui», indique le rapport. «Il y avait sûrement suffisamment d’informations crédibles dans le domaine public (…) pour l’inciter au moins à enquêter et peut-être à agir sur un certain nombre d’allégations sérieuses». Et «en tant que vice-président, il avait certainement la responsabilité de le faire», avance aussi le rapport.
L’intéressé, qui a juré d’éradiquer la corruption en succédant à Jacob Zuma et annoncera dans quatre mois au Parlement l’ouverture d’éventuelles poursuites, n’a pas réagi dans l’immédiat au contenu du rapport ni a fortiori aux passages le visant.