Royaume-UniLe suicide de Molly, 14 ans, relance le débat sur le rôle des réseaux sociaux
Avant sa mort, la jeune fille avait consulté des contenus évoquant, voire normalisant la dépression, le suicide et l’automutilation. La justice estime que cela est pour beaucoup dans son geste.
Molly Russell avait 14 ans quand elle s’est suicidée, en 2017, et pour ses parents, les contenus qu’elle avait consultés sur les réseaux sociaux y sont pour quelque chose. La justice britannique leur a donné raison vendredi.Le suicide de cette adolescente britannique a relancé au Royaume-Uni le débat sur l’emprise des réseaux sociaux sur les jeunes. Car tentant de comprendre son geste, ses parents ont découvert que la jeune fille avait été massivement exposée, essentiellement sur Instagram et Pinterest, à des contenus évoquant, voire normalisant la dépression, le suicide et l’automutilation.
Depuis près de cinq ans, ils se battent pour faire reconnaître le rôle des réseaux sociaux dans la mort de leur fille et pour faire en sorte que les enfants soient mieux protégés sur internet. Les conclusions d’une procédure judiciaire dite «d’inquest», destinée à déterminer les causes de la mort de l’adolescente, sont sévères. Les contenus vus par Molly «n’étaient pas sûrs» et «n’auraient jamais dû être accessibles à une enfant», a ainsi déclaré, vendredi, Andrew Walker, le «coroner» chargé de la procédure.
Et plutôt que de qualifier sa mort de suicide, il a donc estimé que l’adolescente «était morte d’un acte d’automutilation, alors qu’elle souffrait d’une dépression et des effets négatifs de contenus vus sur internet».
«Un pas important»
Une partie de ces contenus était «particulièrement explicite tendant à décrire l’automutilation et le suicide comme une conséquence inévitable d’une maladie dont elle ne pourrait pas guérir», et «sans aucun contrepoints», a-t-il insisté. Il a notamment mis en cause les algorithmes développés par les réseaux sociaux, qui ont tendance à proposer aux utilisateurs du contenu similaire à ce qu’ils ont vu précédemment.
Réagissant à la sortie du tribunal, vendredi, le père de Molly, Ian Russell, a dit espérer que ces conclusions «marqueront un pas important pour apporter les changements nécessaires» au fonctionnement des réseaux sociaux. La question du fonctionnement des algorithmes et de la modération des contenus est un enjeu majeur pour les plateformes, alors que de plus en plus de voix s’élèvent pour demander un renforcement de la réglementation afin d’éviter les dérives, comme le cyberharcèlement ou la désinformation.
Une loi sur la «sécurité sur internet», censée trouver un équilibre entre la liberté d’expression et la protection des utilisateurs, en particulier des mineurs, est d’ailleurs en cours d’examen au Parlement britannique.
«Dix posts sur la dépression que tu pourras aimer»
Durant la procédure, la Cour a diffusé certains des plus de 2000 contenus – textes, photos, vidéos – évoquant le suicide ou l’automutilation, vus sur les réseaux par la jeune Molly dans les six mois ayant précédé son décès. La jeune fille avait même reçu par mail des recommandations de Pinterest, lui suggérant d’aller lire «dix posts sur la dépression que tu pourrais aimer». La procédure a aussi mis en avant la difficulté, pour les familles et le personnel éducatif des écoles, à contrôler ce que les enfants voient et font sur internet.
Renfermée sur ces réseaux, la jeune fille avait lancé des appels au secours à des célébrités, comme à la romancière J.K. Rowling, à qui elle a écrit, sur Twitter, «Mon esprit est rempli de pensées suicidaires». Autant de bouteilles à la mer qui se sont perdues dans l’océan numérique.
«Aucun parent ne devrait avoir à endurer ce que Ian Russell et sa famille ont traversé», a réagi le prince William, héritier du trône britannique et particulièrement engagé sur les questions de santé mentale. «La sécurité numérique pour nos enfants et les jeunes doit être un prérequis, pas une réflexion après coup», a-t-il tweeté vendredi soir.