Notre rétro de 2022Mon retour sur le Tour de France
Je n’étais plus revenu sur la Grande Boucle depuis 2001. En 21 ans, beaucoup de choses ont changé, forcément.
- par
- Christian Maillard
Comme le gamin qui attend le Père Noël le 24 décembre dans l’escalier, juste avant d’aller se coucher, ou celui qui se jette le lendemain sous le sapin pour «dévorer» ses cadeaux, je me réjouissais de revenir, plus de vingt ans après, sur les routes du Tour de France. J’avais hâte d’enlever l’emballage de Fêtes et de découvrir l’intérieur. Qu’allais-je vraiment retrouver? Une caravane publicitaire plus grande qu’avant? Je m’y attendais. Je n’ai pas été déçu. Mais ce n’est pas le seul changement.
J’avais connu les années 90 avec Tony Rominger, Alex Zülle et Pascal Richard, des beaux moments d’émotions avec ces victoires qui vous mettent les poils au garde-à-vous, comme ce succès de Laurent Dufaux à Pampelune devant Bjarne Riis lors de l’édition 1996. C’était juste avant l’affaire Festina, le scandale du dopage. Je me doutais bien que certains ne carburaient pas à l’eau claire mais je ne pensais pas que le cyclisme était à ce point vérolé. Que les coureurs devaient se lever la nuit pour faire des pompes pour éviter que le sang ne coagule et qu’ils ne meurent dans leur lit. Avec cet «EPOcrite», un ressort s’était cassé, comme ce jouet de juillet que j’aimais tant.
J’ai voulu encore y croire l’an suivant, en étant convaincu naïvement que ce serait le Tour du renouveau, qu’ils avaient tous compris, qu’à force de franchir la ligne leur santé était en danger. Mais c’était avant le démarrage hallucinant de Lance Armstrong entre Val-d’Isère et Sestriere en 1999. L’Américain, qui ne passait pas un pont de chemin de fer avant qu’on ne lui décèle un cancer des testicules, roulait comme une moto en montagne.
À ce moment-là, je me suis dit qu’il serait préférable de voir grandir mes enfants plutôt que de cautionner tout ça. Je ne pouvais plus regarder un coureur sans me dire que lui aussi avait pris, qu’il était comme tous les autres. Cela m’avait d’ailleurs inspiré une chronique, deux ans plus tard, quand nous étions arrivés à Seraing, en Belgique. Un nom prédestiné pour un papier que j’avais intitulé «Ne me pique pas». Marre de ces faux soigneurs, ces fossoyeurs. Ce sera mon 7e et dernier Tour avant que je ne décide de revenir cette année. Avec, à nouveau, beaucoup d’excitations, comme avant…
J’ai pris la course en route, à Lausanne, lors de la 8e étape. Première chose, les salles de presse sont moins bondée qu’avant. On ne reconnaît plus personne ou presque. À l’exception de deux Mohicans de L’Équipe et un de Marca, mon collègue Sylvain, l’ami Bernard et Julian, je me sentais étrangement seul. J’ai toutefois revu d’anciens coureurs comme le Danois Michael Rasmussen, un ex-dopé, devenu reporter pour une télé de son pays. Il a vibré avec son protégé Jonas Vingegaard jusqu’à Paris. Mais aussi Robert Millar, que j’avais interviewé sur le Tour de Romandie en 1990. Elle s’appelle Philippa York désormais et, elle qui détestait les journalistes, se retrouve de l’autre côté de la barrière où elle collabore à une télévision australienne. Comme quoi…
Autre bizarrerie: le matin, au village départ, il n’y a plus un coureur qui vient prendre son café et parler avec nous de tout et de rien, de l’étape de la veille ou des nouvelles de sa famille. Non, on y trouve de l’eau bien fraîche (important avec la canicule), un bon blanc du coin (il n’y a pas de mal à se faire du bien) mais surtout que des gens très importants de la région (des VIP). Il y a des politiciens de la ville départ, le patron du Tour, Christian Prudhomme, bien sûr, ainsi que quelques invités et des anciennes gloires comme Bernard Thévenet ou Jacques Michaud qui s’occupent de stands publicitaires de l’épreuve tout en se remémorant le passé avec des anciens. L’occasion de leur demander ce qu’ils pensent des champions d’aujourd’hui, de cette course qui serait tellement plus vivante sans oreillettes. Enfin, bref…
Maintenant, pour approcher un des acteurs du Tour sur son vélo, il faut les attendre derrière des barrières, serrés comme des sardines, en espérant que le responsable presse de l’équipe leur aie transmis le message pour qu’ils s’arrêtent quelques instants. Tout a changé sur le Tour.
Il y a même dorénavant une Grande Boucle féminine qui s’élance le jour de l’arrivée des hommes. Pour moi c’était une première. Avec plein de belles images d’une course passionnante, en mouvement, où ça ne calcule pas. Le matin pour voir Annemiek Van Vleuten, Marlen Reusser ou Élise Chabbey, pas besoin d’effectuer un mail la veille et de les attendre derrière une barrière. Comme lors du Tour de Romandie. Il suffit d’aller à leur bus. Et elles parlent. Pourvu qu’elles ne changent jamais. Pour elles, je reviendrai.