JusticeSix ans après, le procès des attentats du 13 novembre va s’ouvrir à Paris
Dès mercredi et pendant neuf mois, la Cour d’assises spéciale de Paris, compétente pour statuer sur les crimes commis en matière de terrorisme, va juger 20 accusés.
Six ans après les attentats djihadistes du 13 novembre 2015, la justice française replonge mercredi et pendant près de neuf mois dans l’horreur d’un carnage à Paris et en région parisienne qui fit 130 morts et plus de 350 blessés.
Des «kamikazes» au Stade de France à Saint-Denis, près de Paris, des terrasses de bars et une salle de spectacle, le Bataclan, mitraillées dans la capitale: la France, déjà secouée par les attentats au mois de janvier précédent contre le journal satirique Charlie Hebdo et un magasin Hyper Cacher, vécut, ce jour-là, ses plus sanglantes attaques depuis la Seconde Guerre mondiale.
Sous sécurité maximale, la Cour d’assises spéciale de Paris, compétente pour statuer sur les crimes commis en matière de terrorisme, va juger 20 accusés, dont le Franco-Marocain Salah Abdeslam, seul survivant des commandos téléguidés par le groupe État islamique (EI). Quatorze seront présents, six jugés par défaut. Outre Abdeslam, ils sont accusés d’avoir aidé, soutenu les préparatifs à des degrés divers.
Un procès hors norme
Ce procès, hors norme par le nombre de parties civiles (près de 1800), sa charge émotionnelle et sa durée, a nécessité deux ans de préparation et la construction d’une salle d’audience spéciale au sein du Palais de justice de la capitale.
Tenir un procès de cette ampleur jusqu’à son terme – prévu le 25 mai 2022 – constitue un défi inédit pour l’institution judiciaire, particulièrement en temps de pandémie et de menace terroriste toujours élevée. «C’est un Everest qu’on va devoir grimper avec de petits chaussons», redoute Me Jean Reinhart, l’avocat de l’association des victimes «13onze15 Fraternité-Vérité» et d’une centaine de parties civiles.
Seule une partie – environ 300 – des proches de victimes et rescapés des attaques témoignera, entre fin septembre et fin octobre.
«On sait que c’est un jalon important pour notre vie d’après», estime Arthur Dénouveaux, rescapé du Bataclan et président de l’association Life for Paris. Ces prises de parole vont «faire rentrer l’humanité dans le procès», il faudra accepter certains «débordements» d’émotions, prévient-il.
«Pas un procès d’exception»
En l’absence du donneur d’ordres, le vétéran du djihad Oussama Atar, et d’autres haut gradés de l’EI dont les frères Fabien et Jean-Michel Clain, présumés morts et jugés par défaut, tous les regards seront tournés vers Salah Abdeslam et Mohamed Abrini, «l’homme au chapeau» des attentats de Bruxelles.
La cour, qui ne les interrogera pas avant 2022, arrivera-t-elle à lever les dernières zones d’ombre, à commencer par le rôle exact joué par Salah Abdeslam, 31 ans? Ce dernier est resté mutique pendant l’instruction et les parties civiles se préparent déjà à un mur de silence.
«Ce procès promet d’être chargé en émotions, la justice se devra toutefois de les tenir à distance si elle ne veut pas perdre de vue les principes qui fondent notre État de droit», mettent en garde les avocats de Salah Abdeslam, Olivia Ronen et Martin Vettes. «Nous veillerons à ce que ce procès exceptionnel ne devienne pas un procès d’exception», affirment-ils.
«S’il est essentiel que tous les acteurs de ce procès puissent s’exprimer, les victimes ayant besoin que leur douleur soit entendue, il ne faut pas perdre de vue que c’est avant tout le procès des accusés, qui devront être jugés à la hauteur de leur implication respective et au regard de leur parcours et personnalité propres», renchérit une autre avocate de la défense, Léa Dordilly.
Douze des vingt accusés encourent la réclusion criminelle à perpétuité. Trois, contre lesquels pèsent les charges les moins lourdes, comparaîtront libres sous contrôle judiciaire. Plus d’une centaine de témoins ont été cités, dont de nombreux enquêteurs français et belges, et l’ex-président français François Hollande.
Ce procès sera le deuxième en matière de terrorisme à être intégralement filmé au titre des archives audiovisuelles de la justice, après celui des attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher.
13 novembre 2015
Peu après 21 h le 13 novembre 2015, un «kamikaze» se fait exploser près du Stade de France, où se joue un match amical France-Allemagne. Puis au cœur de Paris, deux commandos de trois hommes mitraillent à l’arme de guerre des terrasses de bistrots et tirent sur les spectateurs d’un concert au Bataclan, où l’assaut sera donné peu après minuit.
Deux assaillants fuient, la traque s’organise. Elle durera cinq jours: Abdelhamid Abaaoud, un des djihadistes francophones les plus recherchés et chef opérationnel des attentats, et son complice sont tués le 18 novembre, lors de l’assaut de la police dans un immeuble de Saint-Denis où ils s’étaient retranchés.
Alors que la France pleure ses morts, ferme ses frontières et décrète l’état d’urgence, une enquête tentaculaire commence, avec l’étroite collaboration de la justice belge. Quatre années d’investigations ont permis de reconstituer une grande partie de la logistique des attentats, du parcours à travers l’Europe des membres des commandos, revenus de Syrie par la route des migrants, à leurs planques louées en Belgique et près de Paris. L’enquête met au jour une cellule djihadiste bien plus importante derrière ces attaques, celle qui a également frappé l’aéroport et le métro de Bruxelles le 22 mars 2016, faisant 32 morts.
Version originale publiée sur 20min.ch