Droits de l’hommeLa France toujours malade de ses prisons
En 2020, la Cour européenne des droits de l’homme dénonçait un manque de «volonté politique» face au surpeuplement des prisons. Aujourd’hui, rien ou presque n’a changé.
Des maisons d’arrêt surpeuplées à plus de 140% et une inflation qui ne faiblit pas: près de trois ans après sa condamnation par la justice européenne pour sa surpopulation carcérale, la France n’a toujours pas endigué ce mal endémique. Selon les dernières données officielles, les prisons françaises comptaient 72’350 détenus pour quelque 60’000 places au 1er octobre, soit 3177 de plus en un an et 13’655 de plus qu’en juin 2020, quand la crise sanitaire avait entraîné une chute drastique du nombre de prisonniers. Au rythme de progression actuel, le record absolu de 72’575 personnes incarcérées atteint en mars 2020 à la veille de la mise sous cloche du pays, devrait être prochainement dépassé.
Une évolution à rebours de celle des voisins européens de la France, qui ont vu en dix ans reculer leur taux d’incarcération, notamment en Allemagne (-12,9%) et aux Pays-Bas (-17,4%). «Il y a une exception répressive française», juge Matthieu Quinquis, président de l’Observatoire international des prisons (OIP), et cette «augmentation folle de la répression ne correspond pas à une hausse de la délinquance».
En France, «la prison reste la reine des peines», note aussi Dominique Simonnot, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), qui s’insurge contre une «passion française d’enfermer». Dans un discours à Agen en 2018, Emmanuel Macron avait lui-même regretté que l’emprisonnement reste «la solution qui contente symboliquement le plus de monde, ce qui évite de s’interroger sur le sens que cela recouvre». Organisations syndicales et associations déplorent toutefois depuis l’absence de «volonté politique» pour endiguer ce surpeuplement chronique, que la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) avait qualifié de «structurel» en condamnant la France en janvier 2020.
«Rendez-vous manqué»
Dans son «plan d’action» contre la surpopulation carcérale adressé à l’Europe, le gouvernement français met en avant la construction de 15’000 nouvelles places de prison d’ici 2027 et assure que le recours accru aux mesures alternatives à la détention «produira tous ses effets dans les prochains mois». Le gouvernement détaille que 2081 places ont été livrées depuis 2017, que 360 doivent l’être d’ici la fin de l’année, puis 1958 en 2023, 390 en 2024 et 740 en 2025. Soit un total de 5500 places.
La nouvelle échelle des peines entrée en vigueur en mars 2020, qui vise à limiter les courtes peines, grandes pourvoyeuses d’emprisonnement, est un «rendez-vous manqué», constate poliment une ancienne directrice de prison. En trois ans, le quantum des peines prononcées a «augmenté de 11%» et le recours à la détention provisoire – avant jugement – reste «extrêmement important», note le président de l’OIP.
«Temps d’appropriation»
Il en «résulte un accroissement sensible du nombre des années d’emprisonnement prononcées», de l’ordre de «2% en 2022 par rapport à 2021», constate-t-on au ministère. Les dernières réformes «nécessitent encore un temps d’appropriation», plaide la Chancellerie.
Les juges sont tiraillés entre l’injonction de «vider les prisons» et la création de nouvelles infractions ou l’aggravation de leur répression, souligne la magistrate. «Si l’objectif politique est de limiter la surpopulation carcérale, il faut nous donner les outils juridiques pour le faire», abonde Samra Lambert, du Syndicat de la magistrature (SM, gauche).