Prisons russesAprès avoir dénoncé des viols organisés, un lanceur d’alertes demande l’asile en France
Ayant réussi à faire sortir d’un pénitencier russe des vidéos de viols de détenus, un Biélorusse espère trouver refuge en France, après un sacré périple.
Il est à l’origine d’une fuite d’une ampleur sans précédent de vidéos de viols organisés et de tortures dans les prisons russes: après un périple rocambolesque, le Biélorusse Sergueï Savelev, demande l’asile en France. Passé par Istanbul et Tunis, l’ex-détenu âgé de 31 ans est arrivé, dans la nuit de vendredi à samedi, à l’aéroport de Roissy, et se trouve depuis dans la zone d’attente des demandeurs d’asile. L’AFP l’y a rencontré dimanche.
Début octobre, des images insoutenables d’un prisonnier subissant un viol à l’aide d’une longue perche, dans une prison-hôpital de Saratov, ont fait scandale en Russie. Quatre responsables des services carcéraux régionaux ont été limogés, et même le porte-parole du Kremlin a réagi face à l’horreur.
Grâce à Intranet
C’est dans cet établissement que Sergueï Savelev a été incarcéré, condamné dans une affaire de trafic de stupéfiants. C’est là aussi que, sous couvert de ses fonctions de maintenance informatique, il a téléchargé, patiemment et discrètement, les fichiers vidéo de prisons à travers toute la Russie, celles-ci étant reliées entre elles par un Intranet. «Au début, ils me contrôlaient, puis cette surveillance s’est progressivement relâchée jusqu’à disparaître», raconte cet homme d’aspect frêle et timide.
L’ONG Gulagu.net, qui a publié les images de Saratov, explique que Sergueï Savelev lui a remis quantité de vidéos, prouvant le caractère systémique des mauvais traitements dans les geôles russes. Il raconte avoir réussi, peu avant sa libération, début février 2021, à dissimuler près de la sortie de sa prison les supports sur lesquels il enregistrait les données. Le jour de sa sortie, après avoir été minutieusement fouillé, il les a récupérés, ni vu ni connu, dans la confusion d’un départ groupé.
Détenus à la solde des autorités
«Cette idée mûrissait depuis longtemps en moi. Il est très difficile psychologiquement de garder de telles choses pour soi. Que peut-on faire d’autre, une fois qu’on sait?» Les violences commises dans les prisons et enregistrées sur ces vidéos sont bien souvent le fait d’autres détenus, à la solde des autorités pénitentiaires en quête de mouchards ou d’aveux.
Des coups, il en recevait «environ une fois par semaine, mais pas trop fort, pour éviter les bleus trop visibles». Pour décrire les pressions psychologiques, il raconte cette anecdote: «Mon père a fait 1000 km pour apporter du saucisson à son fils. Il a essayé un jour, puis le lendemain, il a dormi trois nuits dans sa voiture, mais ils ne l’ont pas laissé entrer».
Crainte de représailles
Pour avoir subtilisé et diffusé les vidéos illustrant ce système, Sergueï Savelev, qui demande l’asile en France, dit craindre à présent des représailles de l’administration pénitentiaire russe et les services de sécurité. Il raconte leur avoir échappé de peu en Russie, assurant que des agents lui avaient proposé, en échange de sa coopération, quatre ans de prison pour «divulgation d’un secret d’État» plutôt que dix à vingt ans pour espionnage. «Cela ne les intéressait pas de savoir qu’il y avait des violations des droits humains.»
Afin de leur échapper, il est monté dans une «marchroutka», un minibus qui l’a conduit jusqu’à Minsk, en passant par la poreuse frontière entre Russie et Biélorussie. La coopération entre les forces de l’ordre de Moscou et Minsk étant de mise, dès son arrivée dans son pays, fin septembre, il s’est envolé pour la Turquie puis la Tunisie, pays où aucun visa n’était requis.
À Tunis, en quarantaine dans un hôtel, il a pris un billet pour retourner à Minsk, avec une escale à Paris. Arrivé à Roissy, il a mis fin au périple et demandé l’asile. «Il a le profil d’une personne qui peut faire l’objet d’une disparition forcée et d’une exécution extrajudiciaire, les craintes sont donc sérieuses», estime son avocate.
Un moyen de chantage
Un scénario consistait à filmer des sévices sexuels infligés à une victime, puis la vidéo servait de moyen de chantage pour que le détenu supplicié coopère. Car si le viol est rendu public dans la prison, le prisonnier chutera au plus bas des échelons d’un monde carcéral très hiérarchisé, devenant un paria, un «pétoukh» (coq) dans le riche vocabulaire des taulards. Sergueï dit avoir subi des mauvais traitements dans une prison de Krasnodar pour qu’il «coopère», sans connaître le pire. Et il assure n’avoir jamais pris part à des violences contre d’autres détenus.