Guerre en UkraineKiev au défi de gérer le parc hétéroclite de blindés promis par l’OTAN
L’armée ukrainienne devrait bientôt recevoir des chars d’assaut de la part des Occidentaux. Restera alors à former les soldats au maniement et à l’entretien, ce qui ne coule pas de source.
L’arrivée prochaine, en Ukraine, de blindés légers de facture occidentale, voire de chars lourds Leopard 2 allemands, met Kiev au défi de former ses troupes à l’emploi et la maintenance d’une diversité d’équipements pour certains très complexes. Depuis le début de l’invasion russe, il y a près d’un an, les alliés européens de Kiev ont déjà livré près de 300 chars soviétiques modernisés, mais jamais encore de chars lourds de facture occidentale, malgré les demandes répétées de l’Ukraine.
«Les chars modernes au standard OTAN, comme les Leopard, les Challenger ou les Abrams, ont un système de visée qui permet de se caler directement sur une cible et de la détruire en un tir. C’est un énorme avantage», explique le capitaine ukrainien Volodymyr Tchaikovsky, déployé dans les environs de Bakhmout, où se jouent des combats sanglants contre les Russes.
Le tabou qui tenait depuis le début de la guerre semble sur le point de sauter: mercredi, la Pologne s’est dite prête à livrer 14 chars lourds Leopard 2. Ce modèle allemand de char d’assaut, considéré comme l’un des plus performants au monde, est très répandu en Europe, garantissant de fait l’accès à des pièces de rechange et à des munitions. Mais Berlin rechigne jusqu’ici à en livrer à Kiev, par crainte d’une escalade avec Moscou.
De nouvelles annonces pourraient intervenir le 20 janvier, lors de la prochaine réunion des alliés de l’Ukraine, à Ramstein (Allemagne). La semaine passée, France, Allemagne et États-Unis avaient ouvert la voie en promettant l’envoi de blindés d’infanterie ou de reconnaissance – 40 Marder allemands, 50 Bradley américains et des AMX-10 RC français.
Chars soviétiques «rustiques»
Depuis le début de la guerre, les Ukrainiens ont certes démontré une remarquable capacité à intégrer le déluge d’équipements divers qui leur sont envoyés. Et en matière de blindés lourds, l’armée ukrainienne ne part pas de zéro: avant le 24 février, elle possédait une flotte de près de 900 chars de facture soviétique.
Mais «les chars soviétiques sont hyperrustiques, il y a moins d’électronique à bord. Au vu de la diversité des chars et blindés occidentaux promis, ça risque d’être un casse-tête logistique pour eux», prévient un officier français. «Les gammes sont extrêmement différentes, chacun a ses systèmes d’armes, ses roulements, ses moteurs…»
Or la haute intensité des combats rend crucial l’entretien d’équipements mis à rude épreuve, surtout pour des équipements de ligne de front. Mais «l’Ukraine est en état de mobilisation générale, elle dispose d’un pool considérable de main-d'œuvre. Et ils ont les structures et dispositifs internes pour assimiler tous ces équipements divers», fait valoir Léo Péria-Peigné, expert en armement à l’Institut français des relations internationales.
Un centre de maintenance en Slovaquie
Si les dommages les plus légers sont traditionnellement réparés par des mécaniciens déployés près de la ligne de front, les opérations de maintenance lourdes sont effectuées à l’arrière. Pour aider les Ukrainiens dans ce domaine, les alliés ont déjà engagé des efforts en matière de «maintien en condition opérationnelle», terme désignant la maintenance dans le jargon militaire. À titre d’exemple, le groupe franco-allemand KNDS a ouvert, en novembre, un centre de maintenance en Slovaquie pour réparer les équipements terrestres français et allemands déployés en Ukraine.
«Dix chars Challenger 2, un cadeau empoisonné»
Il est crucial pour les Occidentaux d’envoyer leurs chars et blindés en quantité, et non au compte-gouttes, sous peine d’être contre-productifs, prévient Léo Péria-Peigné, expert en armement à l’Institut français des relations internationales. «Le char de combat est ce qu’il existe de plus complexe comme véhicule militaire en matière de maintenance terrestre.»
Ainsi, «l’envoi de dix chars Challenger 2 par le Royaume-Uni serait un cadeau empoisonné. Cela nécessiterait de mobiliser toute une filière de formation et de maintenance pour un taux de disponibilité limité, et donc un effet minimal sur le terrain», sachant que plus du tiers du parc de ce type d’équipement est traditionnellement immobilisé pour maintenance, avertit le chercheur.