Football«Pep Guardiola est devenu un meilleur entraîneur au Bayern»
Auteur de deux livres sur le passage de l’entraîneur catalan en Bavière, Martí Perarnau revient sur ces trois années, à l'orée des retrouvailles en Ligue des champions.
- par
- Brice Cheneval
C’est assez rare pour être souligné: dans une Ligue des champions de plus en plus fermée, où les mêmes cadors se retrouvent année après année, le Bayern Munich et Manchester City ne se sont plus affrontés depuis 2014. À l’époque, Pep Guardiola vivait la deuxième de ses trois saisons sur le banc bavarois. Près de dix ans plus tard, les deux clubs ont rendez-vous en quarts de finale et l’entraîneur catalan est passé chez les Skyblues.
Il s’apprête à retrouver son ancienne équipe pour la première fois depuis son départ d’Allemagne, en 2016. L’occasion de revenir sur cette étape de sa carrière, auréolée de sept trophées. Si son Bayern a réussi le pari du jeu, déployant une écrasante maîtrise qui confinait à la grâce par moments, il reste associé aux trois éliminations successives en demi-finales de Ligue des champions.
Martí Perarnau a eu le privilège de vivre de l’intérieur le passage de Guardiola au Bayern, bénéficiant d’un accès illimité aux coulisses. Ce journaliste catalan, devenu intime du technicien, en a tiré deux livres – Pep Guardiola Confidentiel et Pep Guardiola: La Métamorphose – qui retracent son évolution comme entraîneur au cours de ses trois années à Munich. Il revient sur cette période avant le match aller entre les champions en titre d’Angleterre et d’Allemagne, ce mardi (21 heures).
MartÍ Perarnau, que retenez-vous du passage de Pep Guardiola au Bayern Munich?
Deux choses. Tout d’abord, il s’agissait de sa première expérience d’entraîneur à l’étranger. Le Barça est sa maison, c’est là où il a grandi, et il a eu l’audace de quitter ce confort pour s’installer dans ce milieu très exigeant qu’est le Bayern. Cela lui a permis, par la suite, de réussir en Premier League, le championnat le plus relevé du monde. D’autre part, il a intégré d’autres manières de jouer que celle qu’il connaissait. Il a beaucoup appris et cela l’a rendu meilleur. Par exemple, les contre-attaques font aujourd’hui partie des qualités de son Manchester City et cela grâce à son expérience en Bundesliga.
Vous l’avez vu arriver de Barcelone, en 2013, et avez assisté à sa mue. À quel point l’adaptation à l’environnement munichois a été compliquée pour lui?
Il a vécu une première saison difficile, en effet. Comme à Manchester, d’ailleurs. Il a découvert un monde nouveau, avec des joueurs radicalement différents de ceux qu’il dirigeait au Barça. Sa première année lui a servi d’adaptation. À l’effectif, au club, aux supporters, aux médias, aux adversaires… Ce n’est qu’à partir de la deuxième qu’il a commencé à exercer son métier normalement.
Comment son style de jeu, révolutionnaire pour l’Allemagne, avait-il été accueilli par ses joueurs?
Tout le monde, à commencer par les cadres, était impatient d'apprendre cette philosophie de jeu et ce dès les premiers entraînements. La difficulté ne se situait pas là, mais dans le fait de l’adapter à des joueurs différents du Barça et de la confronter à des adversaires différents de ceux du Barça. Les premiers mois – disons jusqu’à Noël – ressemblaient à des premiers cours de langue. Tu as beau être motivé et travailleur, il te faut du temps avant de parler de manière fluide. C’était un processus similaire au Bayern. Les joueurs étaient vraiment disposés à apprendre ce style de jeu mais ils commettaient des erreurs, parce qu’ils ne maîtrisaient pas les principes. Après la première saison, tout était plus simple. Comme me l’a expliqué Philipp Lahm, les joueurs n’ont pas seulement intégré une nouvelle manière de jouer, ils prenaient beaucoup plus de plaisir! Parce qu’ils ne couraient pas après le ballon, ils le contrôlaient. Ce football était plus agréable à pratiquer et il plaisait naturellement aux joueurs.
De nombreux joueurs qui ont côtoyé Guardiola affirment qu’il n’influe pas seulement sur la manière de jouer, mais surtout sur la manière de penser le football. Qu’est-ce qui rend sa méthode si unique?
Dans le fond, la recette de Pep ne comporte pas de secrets. Son idée du football est construite à partir de ses mentors, surtout Johan Cruyff. Elle est centrée sur la possession de balle et, de là, la mise en place de mouvements qui désorganisent l’adversaire dans le but de s’ouvrir le chemin du but. Voilà l’essence de son style. L’objectif ne consiste pas à garder le ballon pour le simple plaisir de l’avoir mais de marquer. Et pour y parvenir, il existe une série de mouvements, de fondamentaux qu’il développe aux entraînements: avoir la possession, avancer en bloc, ressortir proprement depuis l’arrière, surcharger certaines zones pour libérer de l’espace à l’opposé… Pep est le grand leader de ce projet de jeu au XXIe siècle, lequel a été à l’origine de nombreux titres et a créé des tendances. On voit de plus en plus de gardiens jouer au pied, d’équipes construire depuis l’arrière, etc.
Au Bayern, Pep Guardiola a eu recours à 23 systèmes tactiques différents. Ses joueurs ont été contraints de s’adapter à plusieurs postes, y compris pendant les matches. Est-ce le Bayern qui a stimulé sa créativité d’entraîneur ou ne pouvait-il juste pas l’exprimer au Barça?
Ce sont le profil de ses joueurs, des adversaires ainsi que la réalité des matches qui l’ont poussé dans cette direction. Il est évident que Pep a évolué à Munich. À Manchester également, d’une autre manière. Ce qu’il faut retenir, plus que le nombre de systèmes qu’il a utilisés, c’est sa capacité à trouver les solutions aux moindres problèmes que lui posaient les équipes adverses. À ce titre, son niveau de créativité reflète la qualité de ses opposants.
Malgré la courte durée de son passage, Guardiola a profondément impacté le football allemand. La sélection a remporté le Mondial 2014 en s’appuyant sur ses principes et de nombreux entraîneurs, à commencer par Thomas Tuchel et Julian Nagelsmann, se revendiquent de sa philosophie. Pourquoi a-t-il autant marqué les mentalités?
Parce qu’il dirigeait l’équipe phare du pays et parce qu’il a remporté des titres. Il se passe la même chose en Angleterre désormais. Quand on regarde jouer le Arsenal de Manuel Arteta ou le Brighton de Roberto De Zerbi, par exemple, on retrouve son influence. Le XXe siècle regorge d’entraîneurs extraordinaires mais il y en a deux qui ont eu une influence considérable: Herbert Chapman (ndlr: passé notamment par Arsenal entre 1925 et 1934) et Johan Cruyff. Selon moi, Pep fait partie de la même catégorie.
Son passage au Bayern ressemble à une symphonie presque parfaite. On retient qu’il n’a pas remporté la Ligue des champions alors que son équipe a tutoyé par moments la perfection footballistique telle qu’il la conçoit. En Allemagne, quel souvenir a-t-il laissé?
Le fait de ne pas avoir remporté la Coupe d’Europe est resté. Et pourtant, je crois que le match le plus abouti de son Bayern était le retour contre l’Atlético Madrid à l’Allianz Arena en 2016 (ndlr: victoire 2-1 après une défaite à 1-0 à l’aller, un résultat synonyme d’élimination en raison de la règle du but à l’extérieur). C’était absolument extraordinaire, une démonstration de football. La Ligue des champions a ceci de curieux qu’elle a souvent couronné des équipes dont personne ne se souviendra et freiné des équipes qui ont frôlé la perfection. L’histoire du football regorge de perdants magnifiques, tels la Wunderteam autrichienne des années 30, la Hongrie des années 50 ou les Pays-Bas de Cruyff.
En quoi le Guardiola de Manchester City diffère-t-il de celui du Bayern et en quoi lui est-il semblable?
Ces sept dernières années l’ont fait mûrir et l’ont rendu plus modéré. Il reste cet entraîneur passionné, travailleur, obsédé par le football. Et si ses idées sont fondamentalement les mêmes, il a procédé à quelques ajustements. Il a standardisé les ressorties de balle de son équipe, avec une première ligne de trois défenseurs accompagnés de deux milieux de terrain, et s'appuie beaucoup plus sur la contre-attaque, avec une efficacité remarquable. Cette saison, il a également recruté Erling Haaland et Julian Alvarez, deux profils d’attaquants qui n’existaient pas auparavant à City. Pep a ses préceptes de jeu, qu’il complète avec des idées qu’il pioche ailleurs et qu’il adapte aux joueurs dont il dispose.