Évasion fiscaleLe roi de Jordanie épinglé aux côtés de Shakira dans les «Pandora Papers»
Des chefs d’État, des personnalités du showbiz ou encore des sportifs sont pointés du doigt pour avoir échappé au fisc dans la nouvelle enquête du consortium derrière les «Panama Papers».
Plusieurs dirigeants, dont le Premier ministre tchèque, le roi de Jordanie ou les présidents du Kenya et d’Équateur, ont dissimulé des avoirs dans des sociétés offshore, notamment à des fins d’évasion fiscale, selon une enquête publiée dimanche par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ).
L’enquête, à laquelle ont collaboré environ 600 journalistes, est baptisée «Pandora Papers», en référence à la légende de la boîte de Pandore. Elle s’appuie sur près de 11,9 millions de documents, qui proviennent de 14 sociétés de services financiers, et a mis au jour plus de 29’000 sociétés offshores.
Selon ces documents, le roi Abdallah II de Jordanie a créé au moins une trentaine de sociétés offshore, c’est-à-dire dans des pays ou territoires à fiscalité avantageuse. Par le biais de ces entités, il a acheté 14 propriétés de luxe aux États-Unis et au Royaume-Uni, pour plus de 106 millions de dollars (plus de 98,5 millions de francs). L’ambassade de Jordanie à Washington s’est refusée à tout commentaire mais des avocats du roi, cités par la BBC, ont assuré qu’il avait utilisé sa fortune personnelle et a eu recours à des sociétés offshore pour des raisons de sécurité et de discrétion.
Quant au Premier ministre tchèque, Andrej Babis, il a placé 22 millions de dollars (plus de 20,4 millions de francs) dans des sociétés écran qui ont servi à financer l’achat du château Bigaud, une grande propriété située à Mougins, dans le sud de la France. «Je n’ai jamais rien fait d’illégal ou de mal», a réagi M. Babis sur son compte Twitter, «mais cela ne les empêche pas d’essayer de me dénigrer et d’influencer les élections législatives tchèques», prévues vendredi et samedi prochains.
Le président équatorien, Guillermo Lasso, a, lui, logé des fonds dans deux trusts dont le siège se trouve aux États-Unis, dans le Dakota du Sud, selon l’ICIJ qui épingle également les présidents du Chili et de République dominicaine. «Tous mes revenus ont été déclarés et j’ai payé les impôts correspondants en Équateur, faisant de moi l’un des principaux contribuables dans le pays à titre personnel», a assuré dans un communiqué M. Lasso, un ancien banquier. «Tous les investissements réalisés en Équateur et à l’étranger se sont toujours faits dans le cadre de la loi».
Au total, des liens ont été établis par l’ICIJ entre des actifs offshore et 336 dirigeants et responsables politiques de premier plan, qui ont créé près de 1000 sociétés, dont plus des deux tiers aux îles Vierges britanniques.
«Cela démontre que les gens qui pourraient mettre fin au secret de l’offshore, en finir avec ce qui s’y passe, en tirent eux-mêmes profit», a commenté le directeur de l’ICIJ, Gerard Ryle, dans une vidéo publiée dimanche. «On parle de milliers de milliards de dollars.»
Pour Maira Martini, chercheuse au sein de l’ONG Transparency International, cette enquête apporte une nouvelle «preuve claire que l’industrie offshore fait le jeu de la corruption et de la criminalité financière, tout en faisant obstruction à la justice». «Ce modèle économique» basé sur le secret financier «ne peut plus continuer».
Shakira et Claudia Schiffer
Parmi les personnalités exposées, se trouvent également la chanteuse colombienne Shakira, le mannequin allemand Claudia Schiffer ou la légende indienne du cricket Sachin Tendulkar. Apparaissent aussi les noms de l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, qui a réalisé l’achat d’un bien immobilier à Londres par le biais d’une société à l’étranger, et de l’ancien ministre français Dominique Strauss-Kahn.
L’ancien directeur général du Fonds monétaire international (FMI) a fait transiter plusieurs millions de dollars d’honoraires de conseil à des entreprises par une société marocaine exempte d’impôts, selon les documents examinés par l’ICIJ. Dans la plupart des pays, ces faits ne sont pas susceptibles de poursuites. Mais dans le cas des dirigeants, l’ICIJ met en parallèle le discours anticorruption tenu par certains d’entre eux avec leurs placements dans des paradis fiscaux.
Le président kényan Uhuru Kenyatta a ainsi maintes fois affirmé sa détermination à lutter contre la corruption dans son pays et à obliger les officiels kényans à la transparence quant à leur patrimoine.
Pourtant, selon le volet des «Pandora Papers» qui lui est consacré, le chef de l’État kényan possède une fondation au Panama, et plusieurs membres de sa famille directe possèdent plus de 30 millions de dollars logés dans des comptes offshore.
Le Centre américain pour l’intégrité publique
Créé en 1997 par le Centre américain pour l’intégrité publique, l’ICIJ est devenu une entité indépendante en 2017. Son réseau compte des journalistes d’investigation dans plus de 100 pays et territoires, ainsi que quelque 100 médias partenaires.
L’ICIJ s’est fait connaître, début avril 2016, avec la publication des «Panama Papers», une enquête appuyée sur quelque 11,5 millions de documents provenant d’un cabinet d’avocats panaméen. Ils détaillaient les avoirs cachés de milliers de clients de Mossack Fonseca, dont des personnalités de premier plan. L’onde de choc qu’a provoquée cette publication a notamment entraîné la démission du Premier ministre islandais Sigmundur David Gunnlaugsson et du chef du gouvernement du Pakistan, Nawaz Sharif.
Depuis 2013 et la publication des «Offshore Leaks», déjà par l’ICIJ, de nombreuses enquêtes journalistiques coordonnées ont révélé les noms d’entreprises, dirigeants ou personnalités ayant recours à des montages financiers opaques, notamment les «LuxLeaks» (2014) ou les «Paradise Papers» (2017) qui évoquaient le prince Charles, le champion de Formule 1 Lewis Hamilton ou le groupe Nike.