EspagneUne commission d’enquête sur la pédocriminalité dans l’Église
À l’image de ce qui a été fait dans d’autres pays, l’Espagne va mener, à son tour, une enquête sur les violences sexuelles contre les mineurs dans l’Église catholique.
Les députés espagnols ont voté jeudi la création d’une commission d’experts chargée de mener la première enquête officielle dans le pays sur la pédocriminalité dans l’Église catholique, une institution longtemps accusée d’opacité sur ce sujet. À la différence d’autres pays comme l’Allemagne, l’Australie, les États-Unis, la France ou l’Irlande, aucune enquête d’ampleur n’a été menée jusqu’ici sur les violences sexuelles contre les mineurs au sein de l’Église espagnole.
Proposée par les socialistes au pouvoir et le parti basque PNV, cette initiative inédite a été approuvée par une très large majorité de 286 voix pour, 51 contre et deux abstentions dans une Chambre des députés qui compte 350 élus. Les députés du parti d’extrême-droite Vox ont été les seuls à s’opposer au texte, le Parti populaire (droite conservatrice) ayant finalement voté en sa faveur.
Le texte prévoit que cette commission indépendante sera présidée par le Défenseur du Peuple (équivalent du Défenseur des Droits en France) et formée de représentants de l’administration, des victimes et du clergé. Elle sera chargée «d’enquêter sur les actes personnels exécrables commis contre des enfants sans défense» et d’«identifier les personnes ayant commis ces abus, tout comme celles qui les ont couvertes ou protégées», avant de rédiger un rapport qui sera soumis au Parlement pour son approbation.
«La fin d’une ignominie»
Cette enquête marquera «le début de la fin d’une ignominie», déclarait récemment au quotidien El País la députée socialiste Carmen Calvo, ancienne numéro deux du gouvernement de gauche de Pedro Sánchez. Faute de données officielles, le quotidien El País avait lancé sa propre enquête en 2018, recensant 1246 victimes depuis les années 1930. De son côté, l’Église a seulement reconnu 220 cas depuis 2001.
Dans ce pays à forte tradition catholique, l’Église a eu un rôle central dans l’enseignement sous la dictature de Francisco Franco (1936-1975), dont elle était un pilier. Actuellement, plus de 1,5 million d’enfants étudient encore dans quelque 2500 écoles catholiques, selon les chiffres de 2020 de la Conférence épiscopale espagnole (CEE).
Allié des socialistes de Pedro Sanchez au sein du gouvernement de coalition, le parti de gauche radicale Podemos prônait, pour sa part, avec deux partis indépendantistes de gauche, la création d’une commission d’enquête parlementaire, mais cette formule a été finalement bloquée par les socialistes, qui ont opté pour une commission d’experts, modèle choisi par l’Australie, la France ou les Pays-Bas.
En France et en Allemagne
De son côté, l’Église espagnole, dont l’attitude a souvent été critiquée, a fait un premier pas fin février en annonçant le lancement d’un audit externe par un cabinet d’avocats qui a affirmé vouloir aller «jusqu’au bout» pour faire toute la lumière sur ces violences sexuelles. «Il nous semble que nous devons faire un pas de plus dans l’aide et le soutien aux victimes», avait alors affirmé le cardinal Juan José Omella, président de la CEE.
Le président du cabinet d’avocats retenu par l’Église (Cremades & Calvo Sotelo), Javier Cremades, a assuré que sa mission, qui durera en principe un an, s’appuierait sur le travail déjà effectué par les diocèses en Espagne, mais s’inspirerait aussi de «l’expérience positive» de la France et de la «méthodologie allemande».
En France, au terme de deux ans et demi de travail, une commission indépendante a estimé à 330’000 le nombre de personnes ayant fait l’objet de violences sexuelles depuis 1950, quand elles étaient mineures, de la part de clercs, religieux ou personnes en lien avec l’Église.
En Allemagne, un rapport publié en janvier par un cabinet d’avocats a révélé qu’au moins 497 personnes, en majorité des jeunes garçons et adolescents, avaient été victimes d’agressions sexuelles dans l’archidiocèse de Munich-Freising, entre 1945 et 2019.