Jura bernoisMariages forcés: tous libérés!
Aucune infraction pénale n’a été relevée dans le procès des mariages forcés, sauf à l’encontre de la loi sur les étrangers et pour des actes sexuels avec une mineure. «On veut voir nos enfants», disent les prévenus acquittés.
- par
- Vincent Donzé
Père et fils, tous acquittés de l’accusation de traite d’être humains! Le procès des mariages forcés qui a occupé le Tribunal régional Jura bernois – Seeland pendant une semaine a accouché d’une souris, ce matin. Aucune infraction pénale n’a été relevée, sauf à l’encontre de la loi sur les étrangers.
Des jours-amendes ont été distribués, mais le sursis demandé par le procureur Raphaël Arn a été accordé à tous les prévenus. Faute de preuve, c’était la parole des quatre plaignantes mariées de force contre celle des maris et de leur patriarche d’origine balkanique.
Que reste-t-il de l’accusation de traite d’êtres humains pendant seize ans? Rien. Que valent pénalement les tests de virginité imposés quelques minutes après l’arrivée de jeunes femmes mineures âgées de 14 à 17 ans? Une condamnation avec sursis à l’encontre d’un mari pour des actes sexuels avec une mineure de 16 ans
«Le dossier est vide d’éléments concernant les violences sexuelles», constatait le procureur. Les prévenus ont «une conception bornée de la femme au foyer», mais être influencé par des traditions, ce n’est pas une infraction pénale. Aucune expulsion du territoire suisse n’a été prononcée.
Les prévenus avaient, selon le Tribunal, un «fort enfermement sur eux-mêmes». En cas de condamnation des maris, trois des quatre épouses dépourvues de titre de séjour auraient pu prétendre à un permis B. Les plaignantes n’ont pas envie de rentrer en Albanie. Selon les cinq juges, elles ont échangé des informations, si bien qu’«une déclaration n’appuie pas une autre».
S’agripper à sa femme hospitalisée, est-ce une tentative d’enlèvement? Pas selon les juges. «On est face à deux blocs unis de chaque côté qui ont chacun eu le temps de se coordonner», a remarqué Raphaël Arn, selon qui une plaignante a menti. Dans un huis clos, impossible de trouver un témoin neutre.
Avocat d’une plaignante, Dominic Nellen avait posé aux juges une question émotionnelle: «Souhaiteriez-vous que votre fille ou votre petite-fille rejoigne cette famille?» a-t-il demandé. Certes non, mais ça ne fait pas des prévenus des coupables.
«Quel était le message à faire passer», s’était demandé l’avocat d’une victime: «Que des hommes peuvent impunément acheter des femmes à l’étranger pour ensuite bafouer tous leurs droits?».
Les quatre frères accusés d’avoir maltraité leurs épouses pendant seize ans prétendaient être «des gens civilisés». «Ma femme m’insultait parce qu’elle n’obtenait pas ses papiers», a affirmé un frère inscrit à l’assurance invalidité. En instance de divorce, le cadet s’est plaint de ne voir ses enfants de cinq et six ans que deux heures par semaine.
Âgés de 26 à 38 ans, entrés en Suisse en 1998 pendant la guerre du Kosovo, les quatre frères sont établis désormais à Moutier, Crémines et Bienne. Ils bénéficient de permis B ou F, renouvelables chaque année. Avant de rendre son jugement, le Tribunal a reçu une lettre anonyme réclamant la peine de mort.
Le patriarche écope de 150 jours-amendes avec sursis pendant quatre ans. Le fils qui a mis enceinte une mineure s’en sort avec 120 jours avec sursis pendant trois ans tandis qu’un autre prévenu s’est vu infliger une peine de 100 jours avec sursis pendant deux ans pour injures et menaces, des peines assorties d’amendes et de frais.
«On veut voir nos enfants», réagit un accusé libéré. Contrairement à ses frères, le cadet des fils ne peut pas emmener ses enfants chez lui: «Je ne les vois que deux heures toutes les deux semaines», se plaint-il. «Je suis inquiet pour leur santé et leur sécurité, je vis en permanence avec cette angoisse», reprend ce papa, en estimant la situation «injuste».
Le jugement de ce matin, le cadet l’a accueilli avec soulagement: «Je suis soulagé: la vérité a éclaté et ce cauchemar va prendre fin». Un contact sera-t-il établi avec les anciennes épouses? «Non! Le contact est coupé et il le restera», promet-il.