CommentaireSession d’hiver: quand le bloc bourgeois fait la loi
À moins d’une année des élections, l’alliance bourgeoise tourne à plein régime. Fiscalité, politique agricole ou environnement, l’UDC, le PLR et le Centre tiennent la maison fédérale.
- par
- Eric Felley
Durant cette session d’hiver, qui prend fin ce vendredi, le bloc bourgeois a fait corps aux Chambres fédérales. L’UDC, le PLR et le Centre ont montré qu’ils savaient serrer les coudes sur les sujets sensibles. Ils se sont entendus pour la répartition du produit du nouvel impôt sur les entreprises en faveur des cantons, pour soulager le monde agricole des contraintes de la biodiversité ou du climat, pour chasser le loup, pour avantager fiscalement les armateurs, pour s’opposer à la hausse des subsides pour l’assurance maladie, contre la 13e rente AVS ou contre la transparence des revenus des parlementaires.
Ces diverses décisions montrent que la Suisse est bel et bien gouvernée à droite et que le Centre a tendance à se ranger avec ses deux grands frères, l’UDC et le PLR. La répartition des départements au Conseil fédéral, après les élections d’Albert Rösti et Élisabeth Baume Schneider, a également montré que la majorité a pesé de manière subliminale sur le choix. Quand on détient cinq sièges sur sept au Gouvernement, nul besoin d’un vote pour finaliser l’exercice.
Après l’armée, l’agriculture
Après l’armée, qui a profité des conséquences de la guerre en Ukraine pour faire augmenter ses budgets de 7 milliards jusqu’en 2030, ce sont les milieux agricoles qui surfent sur la vague. Les partisans d’une agriculture intensive sont remis en selle pour assurer l’autoapprovisionnement du pays. Les contraintes liées à la biodiversité ou au climat sont repoussées aux calendes grecques. Quant à une 13e rente AVS, n’en parlons pas. Même si la moitié des rentiers en Suisse doivent se serrer la ceinture pour boucler leurs fins de mois, la Suisse n’a pas les moyens de faire mieux! Enfin l’augmentation des subsides pour l’assurance maladie, pour soutenir le pouvoir d’achat, a fait long feu après le revirement du Centre, qui avait pourtant lui-même déposé cette proposition.
L’affaire des salaires minimaux
Mais c’est surtout dans le dossier des salaires minimaux introduits dans cinq cantons, que la droite s’est surpassée. Pourquoi faudrait-il payer 4400 francs une coiffeuse à Genève, alors qu’avec la convention collective nationale, elle ne coûterait que 3400 francs à son employeur? Face à cette question, Fabio Regazzi, le président de l’USAM, a eu cette réponse: les syndicats devraient mieux négocier les conventions.
Pourtant, en instaurant des salaires minimaux, les cantons ont voulu et veulent encore lutter contre la pauvreté et le dumping salarial. Ce n’est pas un hasard si ce sont des cantons frontaliers comme Neuchâtel, Genève, le Jura, Bâle ou le Tessin qui ont introduit ce type de mesures. Le titre de la motion était «Protéger le partenariat social contre des ingérences discutables»- Ces «ingérences discutables» sont en fait la démocratie populaire qui s’est exprimée dans ces cantons.
Le Tribunal fédéral s’est trompé
D’habitude si sourcilleuse en matière de fédéralisme et de droits populaires, la droite estime ici que le peuple n’a pas à se mêler des affaires en fixant un salaire plancher. Le Tribunal fédéral a pourtant confirmé que oui, que ces décisions étaient conformes au fédéralisme. Rien à faire, le Tribunal fédéral s’est tout simplement trompé. La droite dit défendre le «partenariat social». Mais celui-ci, un peu à l’image du Conseil fédéral, se décide avec une forte dose de libéralisme, qui sous-tend toutes les règles du jeu.
Bref, l’alliance bourgeoise est en pleine forme à Berne. Elle «surperforme», comme on dit sur les marchés financiers. Mais gare à l’autosatisfaction, qui pourrait provoquer une bulle d’arrogance avant les élections d’octobre 2023.