Grand Corps Malade: «Je suis passé par des moments durs où il a fallu chérir le jour d’après»

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InterviewGrand Corps Malade: «Je suis passé par des moments durs où il a fallu chérir le jour d’après»

Le slameur le plus connu de France revient avec son nouvel album, «Reflets». Il nous parle de ses enfants, des accidentés de la vie et de son parcours.

Fabio Dell'Anna
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Fabio Dell'Anna
Grand Corps Malade sera en concert à l’Arena de Genève le 15 mars 2024.

Grand Corps Malade sera en concert à l’Arena de Genève le 15 mars 2024.

IMAGO/PanoramiC

Il devait s’appeler «Portraits», il a finalement choisi «Reflets». Grand Corps Malade a sorti son nouvel album le 20 octobre dernier. Un projet «très personnel» dans lequel il fait le point sur ce qui l’entoure et la personne qu’il est devenu. Lors de notre entretien, il parle avec soin. Choisis ses mots avec précision. Il souligne l’importance de vivre le moment présent et cite à plusieurs reprises ses deux fils. «Je suis à la page grâce à eux», plaisante-t-il.

Après son disque de duos consacré aux femmes, «Mesdames», et celui en groupe éphémère avec Gaël Faye et Ben Mazué, le Français de 46 ans revient en solo. Les douze titres sont concoctés avec l’aide de ses producteurs Quentin Mosimann et Guillaume Poncelet. Il nous raconte l’histoire derrière quelques-uns de ces morceaux et annonce déjà travailler sur la tournée. Celle-ci s’arrêtera à l’Arena de Genève le 15 mars 2024.

Votre album de duos s’est écoulé à 650 000 exemplaires en France. Cela vous stresse de revenir avec un projet solo?

Je sais qu’il ne faut pas le comparer à «Mesdames». De tels chiffres, ça n’arrive qu’une fois dans une carrière. Il y a la magie, le thème, l’album, les duos et puis trois tubes consécutifs qui rentrent en radio. Je ne me fais aucune illusion et ce n’est pas du tout de la fausse modestie. Au moment de l’écriture de cet album, je ne pense pas du tout à «Mesdames» ou à ce qui s’est passé avant. Je ne suis que dans l’artistique. En revanche, au moment de la sortie, oui, il y a une petite pression. Je me dis forcément: «Espérons que l’album plaise.»

La notion du temps fait une nouvelle fois partie de vos textes. Cette fois-ci vous parlez plus du présent comme sur les titres «Autoreflet» et «C’est aujourd’hui que ça se passe». Vous voulez profiter de chaque instant?

Oui. Je dis la même chose aussi dans mon premier single, «Retiens les rêves». J’y parle justement de profiter de ce moment présent parce que mes deux fils grandissent vite. Les petits moments familiaux très simples et très beaux ne sont pas éternels. On me dit souvent: «Lorsqu’on a des enfants, d’un seul coup, le sablier s’accélère.» C’est vrai. J’ai l’impression qu’ils sont nés hier alors qu’ils ont 10 et 13 ans. Du coup, j’ai toujours profité du présent, je ne suis pas dans l’insatisfaction d’attendre la suite. Il faut savoir le chérir et bien en profiter.

Vous n’aimez pas forcément parler de l’avenir, pourtant vous n’hésitez pas à vous y projeter dans le titre «2083».

Même si je parle de l’année 2083, c’est surtout pour parler du présent et de l’urgence climatique. Aujourd’hui, on se prépare pour le futur. J’ai contacté des spécialistes, je me suis renseigné pour ne pas écrire n’importe quoi dans ce texte. Ce thème m’interpelle et m’inquiète. Évidemment, on ne peut pas passer à côté de cette urgence. Et comme je ne suis pas un artiste dans ma bulle, loin de toute la réalité, je pouvais difficilement, en 2023, faire un album sans en parler.

Pourquoi avoir nommé cet album «Reflets»?

Un titre de l’album s’appelle «Reflets». J’y raconte que mes paroles se reflètent dans celle du public ou l’inverse. Il y a ce jeu de regard l’un sur l’autre. Je ne sais pas qui inspire qui. Il y a aussi le morceau «Autoreflet», où je m’amuse à faire mon autoportrait. J’imagine ce que je vois quand je me regarde dans le miroir. Et puis finalement, il y a le reflet, de manière plus générale. Ce disque est aussi le reflet d’une époque, le reflet d’une société. Ce terme est finalement un joli fil rouge pour le projet.

Vous parlez du titre «Autoreflet». Cela a été compliqué de résumer quarante-six ans de votre vie en quatre minutes?

Ce n’est pas vraiment un résumé de ma vie, plutôt un autoportrait. Que vois-je quand je me regarde dans le miroir? Un père de famille. Un homme amoureux. Un banlieusard et enfin un auteur. Je parle de tout ça et de ce qui me traverse l’esprit. Je n’ai pas cherché à résumer toute ma vie, même si je fais des petites allusions. Je parle du sport, de mes enfants, de ma femme, de mon métier et de la scène. J’amène des petites touches de tout ce qui me représente aujourd’hui et de mon parcours. J’aime beaucoup la phrase: «J’ai les rimes à l’air libre, la silhouette un peu bancale. Pour garder l’équipe libre, je m’accroche aux cordes vocales.» Je fais allusion à ma béquille, à mon déséquilibre, à mon accident et à l’importance de la musique.

«J’en ai croisé des accidentés de la vie. Ils n’ont pas d’autres options. Ils n’ont pas décidé d’être courageux. Ils sont dans la merde. S’il n’y a pas cet instinct de survie, ils sont foutus.»

Grand Corps Malade, artiste

Dans «Le jour d’après» vous mentionnez d’ailleurs l’importance de trouver la force d’avancer dans les moments les plus difficiles. Vous pensez notamment à votre histoire?

Bien sûr, ça fait aussi partie de mon parcours. Je suis un accidenté de la vie (ndlr: à 19 ans, sa tête a heurté le fond d’une piscine après un plongeon, provoquant une fracture des vertèbres cervicales.) Je suis passé par ces moments très durs où il a fallu s’accrocher, attendre et chérir le jour d’après. Là, on ne parlait pas du présent, mais on attendait le futur. Au-delà de mon cas personnel, j’ai été dans des endroits où j’ai vu d’autres cas. J’en ai croisé pas mal des accidentés de la vie. J’en ai rencontré des gens qui galèrent. Beaucoup. Ce titre est une déclaration, une ode à toutes ces personnes. Les moments compliqués seront toujours là. Il faut s’accrocher, avoir de la patience et surtout le courage de se dire: «La lumière va arriver.»

Dans votre texte, vous dites: «Pour ceux qui refusent leur sort et qui changent leur histoire.» Comment peut-on trouver cette force de continuer?

On n’a pas le choix. Dans la chanson, je parle aussi de «guerriers imposés» et de «héros obligés». J’en ai croisé des héros. Plein. Ils n’ont pas d’autres options. Ils n’ont pas décidé d’être courageux. Ils sont dans la merde. S’il n’y a pas cet instinct de survie, ils sont foutus. C’est un courage quotidien de se lever le matin. Il faut avoir un courage mental quand tu viens d’être lourdement handicapé ou quand tu es sans abri. C’est un instinct de survie.

Vous avez travaillé à nouveau avec le DJ franco-suisse Mosimann. C’était une évidence de l’emmener sur ce projet avec vous?

Oui. J’avais besoin de lui. Après notre collaboration sur «Mesdames» et le projet «Éphémère», c’était évident que notre histoire n’était de loin pas finie. On a encore plein de choses à faire ensemble. C’est le compositeur idéal, car il est capable de trouver la petite mélodie qui te donne des frissons ou qui t’arrache une larme. Et en même temps, il peut composer des rythmiques qui t’obligent à bouger la tête tellement tu es ambiancé. Il sait tout faire. On s’entend aussi bien musicalement qu’humainement.

Vous venez de réaliser un biopic de Charles Aznavour qui sort l’an prochain. Comment est venue l’idée?

Elle est venue avec Charles Aznavour, puisque cette idée est née de son vivant. C’était en 2018. Il voulait à tout prix que Jean Rachid, son gendre qui est aussi mon producteur, s’occupe du projet. Jean Rachid a répondu: «J’aimerais bien que ce soit Grand Corps Malade et Mehdi Idir qui le réalisent.» Charles Aznavour a vu notre premier film, «Patients», et il nous a validés. Nous allions même commencer le projet ensemble, mais il est décédé. Évidemment, on a tout mis en pause. Quelques années plus tard, l’envie de faire le film était là et la famille soutenait toujours le projet.

Vous vous souvenez de votre première rencontre avec Charles Aznavour?

C’était dans les bureaux d’une maison d’édition. Il m’avait sorti plein de papiers de sa petite mallette. Il venait de publier un album et il avait plein d’autres chansons en avance pour un autre. Il avait environ 83 ans et il débordait de projets. Cela faisait plaisir à voir.

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