TélévisionComment expliquer l’inégalité face à la douleur
Le documentaire diffusé ce soir sur la RTS nous fait rencontrer des personnes qui soit ne souffrent pas du tout, soit maîtrisent leur peine, soit n’en viennent pas à bout. Pourquoi?
- par
- Michel Pralong
La douleur nous est utile. En la ressentant, nous savons que nous avons un problème. Il s’agit d’un signal d’alarme. Mais que veut-elle dire quand elle devient chronique ou qu’elle est toujours présente alors que la médecine n’en trouve plus la cause? Qu’est-ce vraiment que la douleur et pourquoi sommes-nous si inégaux face à elle? Certains supportent des maux à un degré totalement inimaginable pour d’autres. Quelle part l’inconscient joue-t-il dans ce processus?
Le réalisateur Marc Wolfensberger, qui a notamment été correspondant en Asie centrale et au Moyen-Orient, s’est posé toutes ces questions. Et s’est mis en tête de faire ce voyage au cœur de la douleur, avec peut-être comme quête ultime de trouver l’antidote absolu.
Le phénomène Dubosson
«Il fallait déjà que je trouve mon casting, des gens confrontés de manières différentes à la douleur», nous explique-t-il. Il était notamment fasciné par les gens dont les doigts sont coupés puis recousus et qui, ensuite, ressentent des choses dans un doigt différent que celui qui est concerné. Il a donc approché le professeur Wassim Raffoul du CHUV, grand spécialiste de la chirurgie plastique et de la main, pour que celui-ci lui signale «des cas». Et au bout d’un certain temps, il y en a eu un. Un vrai cas, qui sera même surnommé «le phénomène Dubosson».
Cet agriculteur valaisan, Patrice de son prénom, a été victime d’un terrible accident, sa jambe passant sous une ensileuse à foin hérissée de lames. L’homme est sorti seul de son silo, a descendu l’échelle et s’est hissé lui-même sur la civière de l’ambulance qui venait le chercher. Mais le Pr Raffoul le certifie, la douleur devait être atroce. Lui et le réalisateur du film ont pensé un moment qu’il était dans le déni, car il n’a pratiquement pas ressenti de douleur, ni sur le moment, ni après ses multiples opérations. Mais cela semble être autre chose, une volonté farouche de surmonter les malheurs, d’aller de l’avant. Et il s’est remis à une vitesse exceptionnelle.
Totalement insensible
Ce film va vous faire rencontrer des gens étonnants, comme cette Grenobloise qui a compris que les cloques à ses mains étaient dues au fait qu’elle sortait ses plats du four sans gants. Ses deux accouchements ont été un pur bonheur, sans douleur. Et pour cause puisque à 42 ans elle a été diagnostiquée comme totalement insensible à la douleur. Ce qui pourrait être une bénédiction a un sérieux revers: elle n’a pas d’alarme et son corps n’est qu’une succession de fractures.
Pour monter ce film, il n’a pas été facile de trouver un fil rouge. On démarre, comme la vie, sur les accouchements. Pourquoi diable, alors qu’existe aujourd’hui la péridurale, des femmes veulent-elles donner naissance sans son aide? «Il faut être motivé à 300%, a constaté Marc Wolfensberger, sinon, beaucoup craquent et demandent la péridurale».
Car comprendre la douleur de l’autre n’est pas évident. «Jusque dans les années 1970, lorsqu’on opérait un jeune enfant, on l’anesthésiait mais on ne lui donnait pas d’antidouleur, convaincus que son système nerveux n’était pas encore fini et donc qu’il ne sentait pas autant que nous. C’était faux. Le cerveau enregistre tout, même sous narcose».
Réveillée pour son opération crânienne
Soulager la douleur, cela peut se faire aussi par l’hypnose. Et cela va loin. Vous assisterez dans ce film à une opération du cerveau alors que la patiente n’est pas endormie (gare aux images!). La spécialiste lui suggère pendant l’opération qu’elle est dans l’avion et elle se souviendra du vol après cela.
Il y a ce sportif d’élite français, chaque fois atrocement blessé lors des concours successifs d’anneaux olympiques et qui va peut-être trop loin dans la douleur. Cette danseuse dont le genou est constamment enflammé, celle qui a des douleurs persistantes après une chute en patin alors que plus aucune trace de lésion ne subsiste. Et ce camionneur, qui ne s’est pas remis d’une douleur au genou, jusqu’à ce qu’il trouve le bon médecin.
«Chaque patient est un cas unique», explique le Professeur Raffoul. Mais encore faut-il qu’il tombe aussi sur le soignant adéquat. Il y a aussi le centre SUVA, qui a l’approche de «pain revolution», la révolution de la douleur. L’idée n’est là pas tant d’essayer de la diminuer que d’augmenter ce qu’on peut faire malgré la douleur.
Marc Wolfensberger a rencontré une soixantaine de personnes pour n’en retenir qu’une dizaine. «Avec une préférence pour les plus récalcitrants à témoigner, car ils sont souvent plus intéressants que ceux qui sont trop enthousiastes à le faire».
Du violoncelle pour les vibrations de douleurs
Ce voyage au pays de la douleur n’apporte pas de solution miracle, mais va interroger chacun sur son propre rapport à la souffrance, quitte à lui suggérer d’autres pistes. Un voyage qui s’accompagne d’une musique douce, signée Sara Oswald. «Je cherchais une musique qui colle aux «vibrations» de la douleur, explique le réalisateur. Le violoncelle est assez vite devenu une évidence, et Sara aussi. Elle a compris ce que Marcel Schupbach, le coréalisateur, et moi cherchions: une sorte de caisse de résonance à la douleur, quasi charnelle, un peu à la manière dont notre système nerveux réagit à la douleur. Sans en faire des tonnes».
Et Camille Cottagnoud à l’image plonge le spectateur au plus près du sujet: «C’est un adepte de l’immersion, qui travaille avec de petites focales, très proche des gens».
Le film a été projeté en avant-première aux participants et au grand public, dans un «temple de la douleur», comme l’appelle le réalisateur: le CHUV. En présence de nombreux médecins, qu’ils soient renommés ou étudiants, qui se sont ensuite beaucoup interrogés entre eux et avec la salle sur l’approche que chacun avait de la douleur.
«Pourquoi j’ai mal? Voyage au cœur de la douleur». Documentaire de Marc Wolfensberger avec la collaboration de Marcel Schüpbach (Suisse, 2023)
RTS1 mercredi 18 octobre, 21 h 00