Football - «Avec ces stats, les fans peuvent questionner la gestion de leur club»

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Football«Avec ces stats, les fans peuvent questionner la gestion de leur club»

En Suisse, les stratégies autour du recrutement et de la gestion des effectifs sont très différentes et se reflètent notamment dans le nombre de joueurs utilisés. Décryptage avec le chercheur Raffaele Poli.

Thibaud Oberli
par
Thibaud Oberli
Young Boys compte l’un des effectifs les plus stables du monde sur un an. Un modèle «de noyau» qui semble sourire aux Bernois.

Young Boys compte l’un des effectifs les plus stables du monde sur un an. Un modèle «de noyau» qui semble sourire aux Bernois.

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Vingt-huit pour Young Boys, quarante-deux pour Bâle et Sion. C’est le nombre de joueurs qui ont été utilisés en compétition nationale durant l’année écoulée. Ces chiffres sont tirés d’un rapport de l’Observatoire du football du Centre International d’études du Sport (CIES) de l’Université de Neuchâtel. S’ils peuvent paraître simples, ils parviennent néanmoins à refléter des éléments dans la gestion d’un club voire dans la santé des ligues. Nous en avons parlé avec le directeur de l’institut et co-auteur de l’étude Raffaele Poli.

À gauche, le nombre de joueurs impliqués l’an dernier en match national. À droite le nombre de matchs joués.

À gauche, le nombre de joueurs impliqués l’an dernier en match national. À droite le nombre de matchs joués.

CIES Football Observatory- Lettre hebdomadaire n° 357 - 22/11/2021

Noyau ou carrousel

«Ces statistiques renvoient à des stratégies de gestion des effectifs», explique le docteur. Selon les résultats obtenus par les différentes équipes, qui dépendent de plusieurs variables, deux modèles peuvent être mis en avant par les chercheurs: le noyau ou le carrousel.

«Le modèle du noyau implique la volonté de monter un groupe fort, de faire confiance aux joueurs et de ne pas trop s’inscrire dans une démarche spéculative, explique Raffaele Poli. Il accorde plus de soucis à l’humain qui est derrière le footballeur. Cela ressemble à la politique de Young Boys, qui a essayé de garder les joueurs, de prolonger les contrats.»

«De l’autre côté, le carrousel est une démarche beaucoup plus spéculative, se rapprochant du trading, avec des effectifs plus larges, qui cherche plus à faire jouer la concurrence entre les joueurs et qui finalement est moins stable, continue-t-il. Il y a cette idée que si un joueur n’est pas en sécurité, il pourrait se surpasser. Mais statistiquement, on observe que ce n’est pas forcément le cas.» Le directeur de l’Observatoire du football d’ajouter: «Ces chiffres ne sont toutefois pas toujours le résultat d’une stratégie claire, mais peuvent dépendre de la conjoncture.»

Et la Super League dans tout ça?

En Suisse, les pratiques sont variables, comme le montre le tableau tiré de l’étude. Young Boys, par exemple, a utilisé seulement 28 joueurs l’année dernière, ce qui en fait l’une des équipes les plus stables des 84 ligues analysées. À l’autre extrémité du classement, on retrouve Sion et Bâle (42 joueurs), suivi par Lausanne et Saint-Gall (39). Un score raisonnable en comparaison des cancres de l’étude, qui ont utilisé 61 joueurs.

«D’un point de vue géographique, il y a un certain nombre de logiques à l’œuvre, précise le chercheur. Les meilleurs championnats sont les plus stables. Les clubs suisses s’inscrivent plutôt dans cette stabilité, un modèle plus proche de l’Allemagne que des régions comme le tour de la Méditerranée (Portugal, Turquie, Grèce), l’Europe de l’Est ou l’Amérique du Sud qui, pour différentes raisons, penchent plus vers le carrousel.»

«D’une manière générale, les politiques des clubs suisses accordent aussi une certaine importance aux joueurs, au respect des contrats et essaient tant bien que mal de créer une identité stable à l’équipe», détaille Raffaele Poli.

Une manière de questionner la gestion des clubs

Compte tenu des informations contenues dans cet indicateur, il est intéressant de questionner s’il pourrait refléter un comportement suspect sur le marché des transferts. Pour le chercheur, «cela peut être un indice sur des comportements qui ne sont pas toujours favorables à l’optimisation des performances sur le plan sportif. Je ne parle pas forcément du contexte suisse parce que les chiffres restent raisonnables.»

«Du moment où on peut arriver à la conclusion que ce n’est pas profitable sportivement, on peut alors se demander pourquoi les dirigeants et les propriétaires des clubs agissent de cette manière, poursuit-il. Là, il est possible d’avoir des suppositions liées à des transferts qui permettraient de payer des commissions à des agents, qui peuvent parfois être rétrocédées aux propriétaires eux-mêmes ou aux employés des clubs, ou encore à l’inscription d’un club dans des réseaux de transferts qui peuvent servir à faire tourner des joueurs mis à disposition par des agents.» Des pratiques attestées dans le passé.

Mais il est important de manipuler cette statistique avec prudence. Si elle «peut nous dire beaucoup du football», elle est influencée par différents facteurs et mérite parfois un approfondissement de manière à affiner l’analyse. Elle permet toutefois de garder un esprit critique et alerte. «Les supporters, avec ces statistiques, peuvent se poser des questions sur la bonne gestion de leur club», explique le Tessinois. Tout en restant prudent: «Il ne faudra pas non plus arriver trop vite à des conclusions hâtives par rapport à un potentiel lien, simpliste, entre les politiques des transferts actives et des éventuelles opérations frauduleuses.»

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