SantéIl existe des virus qui pourraient sauver des millions de vies
La Géorgie est à l’avant-garde de la recherche sur les bactériophages, des mangeurs de bactéries qui sont désormais utilisés sur certains cas médicaux difficiles.
Alors que nous vivons une pandémie qui a déjà tué des millions de personnes dans le monde, il est surprenant de savoir qu’un certain type de virus, les bactériophages, pourrait sauver tout autant de vies.
La Géorgie, petit pays du Caucase, est à l’avant-garde de la recherche sur la résistance des bactéries aux antibiotiques.
Longtemps négligés en Occident, les bactériophages, ou virus mangeurs de bactéries, sont désormais utilisés sur certains cas médicaux difficiles, comme cette femme belge qui avait développé une infection potentiellement mortelle après avoir été blessée lors de l’attentat à la bombe de 2016 à l’aéroport de Bruxelles.
Après deux ans de traitement antibiotique inefficace, des bactériophages envoyés de Géorgie ont vaincu son infection en trois mois.
«Nous utilisons ces phages qui tuent les bactéries nocives» pour soigner les patients lorsque les antibiotiques échouent, explique Mzia Kutateladze, de l’Institut géorgien des bactériophages Eliava.
«Même une infection banale peut tuer un patient parce que l’agent pathogène a développé une résistance aux antibiotiques», ajoute-t-elle.
Oubliés au profit des antibios
Les phages, connus depuis un siècle, avaient été largement oubliés lorsque les antibiotiques avaient révolutionné la médecine dans les années 1930.
L’homme qui a le plus contribué à leur développement, le scientifique géorgien George Eliava, a été exécuté en 1937 sur ordre d’un autre Géorgien, Lavrenti Beria, homme de main de Staline et chef de sa police secrète.
Eliava avait travaillé à l’Institut Pasteur de Paris avec le microbiologiste franco-canadien Felix d’Herelle, l’un des deux hommes à qui l’on attribue la découverte des phages, et avait persuadé Staline de l’inviter à Tbilissi en 1934.
Mais leur collaboration avait tourné court lorsque Beria avait fait tuer Eliava, pour une raison restée mystérieuse.
Surconsommation d’antibios, point culminant dans 30 ans
L’Organisation mondiale de la santé ayant déclaré la résistance aux antimicrobiens cause sanitaire mondiale, les phages, qui peuvent cibler les bactéries tout en laissant les cellules humaines intactes, font un retour en force.
Selon une étude récente, les superbactéries pourraient tuer jusqu’à dix millions de personnes par an lorsque la résistance antimicrobienne, due à la surconsommation d’antibiotiques, atteindra son point culminant, qui pourrait survenir d’ici 30 ans.
Si les médicaments à base de phages ne peuvent remplacer complètement les antibiotiques, les chercheurs soulignent des avantages majeurs: bon marché, pas d’effets secondaires, pas de dommages sur les organes ou la flore intestinale.
«Entraînés» pour tuer
«Nous produisons six phages standard qui ont un large spectre d’utilisation et peuvent guérir de multiples maladies infectieuses», assure Lia Nadareishvili, médecin de l’institut Eliava.
Toutefois, chez 10 à 15% des patients, les phages standards ne fonctionnent pas et «nous devons trouver des phages capables de tuer la souche bactérienne concernée», précise-t-elle.
Les phages adaptés aux infections rares peuvent être sélectionnés dans l’immense collection de l’institut, la plus riche du monde, ou être trouvés dans les eaux usées, les eaux polluées ou les sols, explique Mme Kutateladze.
L’institut peut même «entraîner» les phages afin qu’ils «puissent tuer de plus en plus de bactéries nuisibles différentes». «C’est une thérapie bon marché et facilement accessible», selon elle.
Traitement ultime
Un ingénieur mécanique américain de 34 ans souffrant d’une maladie bactérienne chronique depuis six ans a confié à l’AFP avoir «déjà ressenti une amélioration» après deux semaines passées à l’institut de Tbilissi.
Au-delà de la médecine, les phages sont déjà utilisés pour empêcher les aliments de se gâter et peuvent l’être dans l’agriculture «pour protéger les cultures et les animaux des bactéries nocives», explique Mme Kutateladze. L’institut Eliava a déjà mené des recherches sur des bactéries ciblant le coton et le riz.
Les bactériophages sont aussi en capacité de lutter contre les armes biologiques ou combattre le bioterrorisme, des chercheurs canadiens ayant publié en 2017 une étude sur leur utilisation pour contrer une attaque à l’anthrax dans des lieux publics bondés.