Jugé à Nyon (VD)Un gynécologue vaudois accusé d’avoir provoqué la mort d’une maman
En été 2017, Marie*, 31 ans, décède après l’accouchement de son troisième enfant. Un médecin répond d’homicide par négligence devant le Tribunal de La Côte dès ce lundi matin.
- par
- Evelyne Emeri
Sa petite dernière a 6 ans aujourd’hui. Elle est née par césarienne le 1er juillet 2017. Marie*, sa maman, ne la verra jamais grandir, pas plus que ses deux autres aînés. Elle est morte quelques jours après ce qui aurait dû rester un heureux événement. Morte à 31 ans sur le canapé de son salon au petit matin du 23 juillet des suites d’une pyélonéphrite sévère (ndlr. complication d’une infection urinaire qui remonte jusqu’aux reins), qui a entraîné un choc septique. Son époux n’a rien pu faire, les secours, non plus. Depuis ce triste début d’été 2017, il attend le procès qui s’ouvre ce lundi matin à Nyon. Tout comme les parents et le frère de la défunte. Et trois jeunes enfants, privés à vie d’appeler «Maman».
Complications mal gérées
Cette audience s’annonce insurmontable émotionnellement pour les parties plaignantes, également pour le prévenu vaudois de 53 ans, toujours en poste et présumé innocent. Les débats s’annoncent aussi difficiles, techniquement. Le Tribunal d’arrondissement de La Côte, bien qu’aidé par des expertises, va devoir percer à jour l’antre de la médecine, de la gynécologie et de l’urologie pour trancher. Et dire si oui ou non ce gynécologue a fait preuve de négligence lors de la prise en charge de cette patiente. Le procureur Christian Buffat le renvoie précisément devant la Cour pour homicide par négligence, lui reprochant de ne pas avoir su gérer les complications survenues après la naissance du bébé, une petite fille.
Cinq à la maison
Le Ministère public soutient de graves accusations à l’encontre de l’obstétricien. Le magistrat explique, en substance, que la mère de famille est arrivée à 03h15 durant la nuit du 1er juillet 2017. La poche des eaux était rompue mais, hors la présence de contractions, il a fallu les provoquer artificiellement par la chimie. Vers 11h30, le monitoring (ndlr. rythme cardiaque du bébé et contractions) a présenté des anomalies. Marie a commencé à se plaindre de douleurs au niveau de la cicatrice de sa précédente césarienne. Les intervenants n’ont pas tardé et préparé le bloc opératoire pour y effectuer cette même intervention. Une bonne heure plus tard, malgré une extraction rendue difficile – la tête fœtale était très basse dans le vagin de la parturiente –, Marie découvre sa dernière née. Ils seront désormais cinq à la maison.
Multiples déchirures
Mais avant le retour dans le foyer familial le 7 juillet 2017, la patiente doit faire face à une succession d’éléments malheureux ainsi que le liste l’acte d’accusation. Dès la sortie de la petite de l’utérus de sa maman, les opérateurs constatent une déchirure médiane du segment inférieur jusqu’au vagin ainsi qu’une brèche du dôme vésical (ndlr. face supérieure de la vessie). Médecin-chef de garde, l’accusé est appelé sur place afin de s’occuper de cette complication complexe.
Pour faire simple: le praticien a dû réparer séparément la vessie et le vagin. Craignant une éventuelle lésion de l’uretère gauche (ndlr. canal qui conduit l’urine du rein à la vessie), il a contacté un confrère urologue qui l’aurait rassuré et conseillé de faire un scanner de contrôle post-opératoire. Les sutures (utérus/vagin/vessie) et l’intervention terminées, la mère a été emmenée en salle de réveil vers 16h15.
Imprévoyance coupable
Le 3 juillet au matin, Marie passe un CT-scan de l’abdomen qui montre un retard d’excrétion du rein gauche sans lésion claire de l’uretère: les 4 à 5 derniers centimètres ne sont toutefois pas visibles à l’imagerie. C’est là que le procureur charge l’obstétricien. Le lendemain, afin d’anticiper toute évolution défavorable, un avis urologique est sollicité auprès du même spécialiste. Selon le magistrat, ledit avis n’aurait jamais été recueilli. Le procureur Buffat estime que le médecin a fait preuve d’une imprévoyance coupable en s’en passant et en ne se basant que sur l’amélioration globale de l’état de santé de sa patiente. Marie le revoit deux fois, le 11 et le 13 juillet. Tout semble aller pour le mieux.
Points de suture fautifs
Les jours suivants, la maman développe une infection rénale qui n’a pas pu s’évacuer. Ce serait le fait que plusieurs points de suture auraient entraîné un rétrécissement du l’uretère gauche. Le 22 juillet au soir, la trentenaire a beaucoup de fièvre et vomi par trois fois. L’acte d’accusation relève aussi que Marie n’a pas voulu faire appel à un médecin malgré les recommandations du prévenu, dans la crainte de devoir retourner à l’hôpital. Elle allaitera encore son bébé durant la nuit. Vers 05h30, le 23 juillet, son conjoint la retrouve inconsciente dans leur salon. Marie est décédée d’une infection généralisée provoquée par une pyélonéphrite aiguë à subaiguë du rein gauche, dit le rapport d’autopsie.
Évitable à 95%
Pour les médecins légistes et, partant, l’accusation, pas de doute: d’une part, le rétrécissement de l’uretère gauche à proximité des points de suture posés sur la vessie a très probablement favorisé l’infection; d’autre part, aucune lésion préexistante n’a pu jouer un rôle. Une expertise urologie accable, en outre, le praticien. Si l’avis dont ce dernier s’est passé avant la sortie de Marie avait été attendu, différentes interventions (endoscopie, sonde, drainage du rein) auraient pu être réalisées pour exclure le moindre risque. Aussi et en conclusion, le procureur Christian Buffat affirme que le décès de la victime aurait pu être évité avec une probabilité de l’ordre de 95%.
*Prénom d’emprunt