On a passé au grill le réalisateur d’«Arthur, malédiction»

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CinémaOn a passé au grill le réalisateur d’«Arthur, malédiction»

C’est peu dire que le nouvel opus de la franchise de Luc Besson ne nous a pas plu. Mais on en a discuté cartes sur table avec son réalisateur, le Vaudois Barthélemy Grossman.

Christophe Pinol
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Christophe Pinol
Le film montre une bande d’ados, adorateurs d’«Arthur et les Minimoys», qui retrouvent la maison ayant servi au tournage.

Le film montre une bande d’ados, adorateurs d’«Arthur et les Minimoys», qui retrouvent la maison ayant servi au tournage.

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Le projet était intrigant: une production horrifique se déroulant dans l’univers d’«Arthur et les Minimoys», la trilogie réalisée par Luc Besson pour les enfants. Soit un grand écart total entre l‘œuvre originale et ce spin-off, «Arthur, malédiction», montrant une bande d’ados, véritables adorateurs de la saga, qui retrouvent la maison ayant servi au tournage et décident d’y passer la nuit… avant que tout ne vire au slasher façon «Scream» ou «Halloween».

Petite cerise sur le gâteau, c’est un Suisse, le Vaudois Barthélemy Grossman, qui est aux commandes de cette histoire imaginée par Luc Besson. Problème: le concept, bancal dès le départ, ne s’adresse ni aux fans de la trilogie initiale, ni aux aficionados de films d’horreur. Et le long métrage prend surtout des allures de nanar stratosphérique à mesure qu’il déroule ses carences: mal foutu, mal joué, abusant d’effets de mise en scène d’un autre âge et plombé par un côté «méta» égocentrique désespérément premier degré.

Alors comme le parcours du cinéaste nous intéressait néanmoins, on a choisi d’y aller franco, de lui avouer notre incompréhension et de lui proposer d’en discuter. Avec bienveillance. Moteur!

Votre premier film, «13 m2», date de 2007. Que s’est-il passé entre celui-ci et «Arthur, malédiction», votre second?

Après «13 m2», j’ai développé beaucoup de projets qui sont tombés à l’eau à différents stades de production. Je devais notamment tourner un thriller en Suisse avec Harvey Keitel et Mads Mikkelsen, «Clean Out». J’avais fait toute la préparation avec Keitel mais le financement est tombé à l‘eau au dernier moment. J’avais enchaîné avec un autre film, où je devais avoir comme chef opérateur Vilmos Zsigmond (ndlr: directeur de la photo oscarisé pour «Rencontre du 3e type», de Steven Spielberg), mais l’actrice principale a quitté le projet et tout s’est écroulé. J’ai réalisé la deuxième saison de la série d’animation «Lascars», tourné une série à Los Angeles, cette fois de fiction, «Exposed»… Et pendant tout ce temps, une personne m’a toujours observé de loin, avec bienveillance: Luc Besson. On s’était rencontré peu après mon premier film et depuis il a toujours été là pour moi, à me donner des conseils et à me soutenir.

Il vous avait d’ailleurs confié la réalisation de deux épisodes de sa série pour TF1, «No Limits»… Comment s’était passée cette première rencontre?

J’avais été présélectionné aux Césars pour «13 m2», il me fallait un parrain et j’avais été le trouver à Los Angeles en lui disant: «Le seul parrain que je veux, c’est vous». On avait beaucoup discuté, et on était resté en contact. C’est quelqu’un que j’ai toujours admiré, surtout pour son parcours. Les gens qui, comme lui, croient en une vision et partent de rien pour aller au bout de leurs rêves m’ont toujours fasciné! Comme Chaplin, Bill Gates, Mike Tyson ou Orson Welles… Quand j’avais 15 ans, Besson était un modèle pour moi.

Quel souvenir gardez-vous de ces années-là?

J’ai passé mon enfance entre Aubonne et Lausanne: du côté de Saint-Prex, de Morges… À 15 ans, j’ai arrêté mes études pour faire du cinéma. Je suis parti à Paris suivre le Cours Florent. Je voulais d’abord être acteur. Et quand j’ai compris que j’avais avant tout envie de raconter des histoires, d’entreprendre des projets plutôt que de rester à attendre à côté du téléphone, j’ai commencé à produire des courts métrages. À les écrire, puis à les réaliser.

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Comment vous êtes-vous retrouvé aux commandes d’«Arthur, malédiction» alors?

Pendant le Covid, quand tout était arrêté, Luc m’a appelé pour me proposer son idée, que j’ai adoré. Dans ma tête, je suis un enfant. J’étais déjà fan du premier film mais là, je me suis totalement identifié au personnage principal, quelqu’un qui s’est réfugié dans une espèce de bulle protectrice – sa passion pour ce film, «Arthur et les Minimoys» –, et qui doit maintenant en sortir pour affronter le vrai monde. À son âge, j’étais un peu pareil: quand j’allais à l’école et que je savais que j’allais me faire chahuter, je m’imaginais aux côtés de Stallone, Bruce Lee ou Schwarzenegger, parce que j’étais fan de leurs films. Et ça me donnait du courage. Le héros, là, fait la même chose avec ses figurines. On s’en fout que ce soit celles d’Arthur, c’est la métaphore qui m’a plu.

Quelle marge de manœuvre avez-vous eue en adaptant ce scénario signé Luc Besson?

Luc, c’est quelqu’un qui fait confiance. À partir du moment où il te choisit, il est ouvert à une collaboration. Après, il faut avoir de l‘humilité quand on a affaire à un monsieur qui a produit près de 100 films, en a réalisé 15… J’ai énormément appris à ses côtés. Et quand il te donne un conseil, ce n’est pas une histoire d’ego, c’est quelque chose qui rend réellement le plan meilleur. Il me disait parfois: «Là, tu aurais peut-être pu faire ça de cette manière. Ça aurait été plus efficace». «Ah, je n’y avais pas pensé…», je lui rétorquais… «Bart, c’est ton deuxième film, c’est normal». Voilà le genre d’échanges qu‘on avait ensemble…

Mon souci, avec votre film, c’est que je ne crois pas une seconde à ces ados encore fans, à 18 ans, d’«Arthur et les Minimoys». Vous y auriez apporté une once de second degré, un peu de recul, la pilule serait probablement passée. Mais là, du premier degré plein pot…

Je ne suis pas d’accord. Il y a quand même un côté décalé quand les amis du héros lui disent: «Arrête tes conneries: tu as maintenant 18 ans. On te prépare une dernière surprise – la maison qui a servi au tournage – et après tu lâches l‘affaire». Et plus tard, quand ils regardent le film ensemble, ses potes lui balancent: «On ne l’a pas déjà vu ce film? Je ne me rappelle plus…». Alors qu’ils le visionnent pour la 50e fois… Je trouve ça mignon. Tout comme la scène où la fille essaie elle aussi de lui dire qu’il faut passer à autre chose et qu’elle tente de l’embrasser… Je me reconnais totalement dans cette situation. J’étais comme lui à son âge.

Mais là encore: on est face à des ados livrés à eux-mêmes, qui devraient laisser libre cours à leurs émois sentimentaux, voire sexuels. Or, on a l‘impression que tout est tabou, ici. Vos personnages n’osent même pas parler de sexualité, ils y font référence en parlant de «ça»… C’est dur à avaler, des ados si éloignés de la réalité.

Encore une fois, j’ai été ce garçon qui ne se rend pas compte du monde qui l‘entoure, et notamment en regard de la sexualité. Mais c’est une vision des choses que j’ai voulue ainsi, avec des ados un peu magnifiés: gentils, pas vulgaires, qui ne fument pas et adeptes d’une sexualité plutôt belle et douce. Ça ne m’intéressait pas de les montrer en train de regarder un porno sur leur téléphone.

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Après, pourquoi mettre en avant des personnages si clichés: l‘intello de la bande qui porte immanquablement des lunettes, le noir de banlieue et ses fautes de français…

Je vois plutôt ça comme des références. À la lecture du scénario, je me rappelle avoir pensé aux «Goonies», à «Super 8», au premier «Ça», le téléfilm des années 90… Des films où les bandes de copains étaient très soudées, très marquées. Après, le côté black, rebeu ou blanc, je ne fais pas la différence. Le rôle principal féminin n’était par exemple pas écrit pour une métisse. Ce black aurait pu être blanc ou chinois.

Quelle liberté avez-vous eue pour le casting?

Totale!

Y compris, justement, pour ce rôle principal féminin, tenu par Thalia Besson, fille de votre producteur et scénariste?

Exactement. J’ai passé 3 mois à chercher tous les acteurs. J’ai fait toutes les agences possibles, y compris des mannequins. Alors ils sont jeunes, et à cet âge-là c’est toujours plus difficile de leur faire sortir des choses, mais je suis très fier d’eux. Et pour Thalia, je n’osais justement pas en parler à Luc. J’avais effectivement peur de ce type de reproches. Et puis il m’a donné carte blanche, comme pour le reste.

Mais Thalia Besson était-elle actrice? On a plutôt l’impression qu’elle a été choisie pour sa ressemblance avec Zendaya, que pour ses talents de comédienne…

Pour la référence, j’y vois plutôt du Pocahontas. C’est la princesse du film. Sinon, oui, elle a pris des cours de théâtre mais elle est plutôt dans la création, passionnée de mode. Et à un moment, je lui ai dit: «Je ne vois pas le film sans toi, il faut que tu me fasses confiance». On lui a fait passer son casting, elle est entrée, a souri et toute la pièce s’est illuminée. Sur le tournage, elle avait une vraie énergie et ce choix-là est une des choses dont je suis le plus fier sur le film.

On parle d’un budget de 3 millions d’euros. Était-ce confortable pour un film comme celui-là?

Très! J’ai tourné «13 m2» avec 30 000 euros. Là, j’ai pu faire mon blockbuster! Mais le confort sur un plateau, ce n’est pas que l’argent. C’est aussi l’équipe qu’on réunit autour de soi. Quand on se retrouve avec des gens qu’on connait, passionnés et en qui on a confiance, c’est là où on fait de belles choses. J’ai d’ailleurs en grande partie repris mon équipe de «13 m2»: mon chef opérateur, mes électros… C’est dire à quel point j’étais libre.

Avec ce «confortable» budget, vous n’auriez pas pu peaufiner un peu ce plan numérique du bras couvert d’abeilles complètement figées, qu‘on voit passer à un moment à travers une fenêtre? Vous ne le trouvez pas un peu raté?

Pas du tout. Sinon il ne serait pas dans le film.

J’ai aussi de la peine à comprendre à qui s’adresse en fin de compte le film… Clairement pas aux enfants, le public des premiers «Arthur», vu son aspect horrifique. En même temps, le côté gore semble tellement aseptisé que les fans de films d’horreur risquent de ne pas y trouver leur compte…

Je ne voulais pas faire du gore pour du gore. Quand on marche sur un piège à loup, voilà: le film montre ce que ça donne. L‘histoire n’en demandait pas beaucoup plus. Après, il y a un travail de montage. Omettre, c’est aussi raconter. Et ce qu’on ne montre pas ouvre l’imaginaire du spectateur. Là, on est dans un spin-off, un dérivé, et quand Luc m’a confié la franchise, il m’a dit d’en faire ce que je voulais! Et c’est ce que j’ai fait, sans la moindre restriction.

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