FootballManuel Akanji, le «Jefe» de la Romareda
Un but, une passe décisive, mais surtout une énorme performance défensive. Décryptage de la prestation du nouveau joueur de Manchester City, grand acteur du succès 2-1 en Espagne.
- par
- Valentin Schnorhk Saint-Gall
Tout ça, c’est peut-être le destin. Une signature à Manchester City pour évoluer sous les ordres de Pep Guardiola alors qu’il avait été mis de côté au Borussia Dortmund. Et puis, dans la foulée, un match plein avec la Suisse en Espagne, pour contribuer au deuxième succès de l’histoire de l’équipe nationale face à la Roja.
Un but (son premier sous le maillot rouge à croix blanche), une passe décisive, mais surtout un match plein. Samedi, à la Romareda de Saragosse, Manuel Akanji était le «Jefe». Décryptage de cette prestation quasi totale.
Omniprésent
Comme si Granit Xhaka avait délégué son rôle. Le capitaine n’a pas été en reste, puisqu’il aura beaucoup compensé dans l’ombre, mais il a laissé son défenseur central assumer une grande partie des responsabilités. Notamment à la relance.
Face à l’Espagne, Manuel Akanji est le Suisse à avoir touché le plus de ballons: 56, soit quinze de plus que Xhaka. Sans doute parce qu’Akanji était la solution la plus libre et abordable face au pressing espagnol, mais aussi parce qu’il est une garantie pour donner de la continuité au jeu. À titre de comparaison, Nico Elvedi n’aura touché que 24 fois le cuir. Yann Sommer n’a pensé la relance qu’avec le défenseur de City.
Autres éléments statistiques: les 12 interceptions réalisées par Akanji (contre 4 pour Elvedi), les 9 ballons concrètement récupérés, aussi. De quoi confirmer le rôle de leader défensif que le Zurichois de 27 ans a assumé. C’est lui qui a déterminé la hauteur de la ligne défensive suisse durant à peu près tout le match. Et il a été prêt à défendre suffisamment loin de son but. Parce qu’il a les qualités qui le permettent.
Lecture plaisir
Ces atouts, ce sont ceux aussi que Guardiola a identifiés. Il ne faut pas forcément être le défenseur le plus solide au monde pour évoluer à City, mais il faut impérativement pouvoir compter sur certains atouts qui ne se négocient pas. Et ils se rapportent très directement à la capacité à défendre loin de son but. Il faut pouvoir tenir une ligne défensive haute, et composer avec. Contre l’Espagne samedi, cela n’a pas toujours été le cas, mais la Suisse s’est efforcée de gagner des mètres chaque fois qu’elle le pouvait. Signifiant qu’il pouvait y avoir des espaces dans son dos.
Manuel Akanji s’en est très bien accommodé: parce que son match a été un modèle d’orientation. Le résultat d’une habilité à anticiper les différentes situations, et donc d’une lecture du jeu toujours à propos. Un exemple: plusieurs fois, Pau Torres a pris le parti d’allonger le jeu, pour tenter de servir un coéquipier (Asensio, Sarabia, Pedri) dans le dos de la défense. L’intelligence d’Akanji sur ces situations-là a été de déceler l’intention de l’Espagnol pour prendre un temps d’avance pour se retourner et être prêt à courir vers son but. Il aura coupé plusieurs actions ainsi. Et on peut aussi supposer que la communication de ses partenaires a été pertinente dans cette entreprise.
Il n’y a pas que dans la profondeur qu’Akanji a mis en exergue ses capacités à lire le jeu. Sur les centres également, l’ancien joueur de Bâle a été particulièrement bien placé. L’Espagne s’y est essayé 18 fois sur l’ensemble du match, et souvent, lorsque le premier poteau était visé, Akanji a pu s’interposer. Ce n’est pas un hasard.
Dans l’attitude du numéro 5 suisse, il y a des gestes qui ne trompent pas: la volonté de prévenir en premier lieu la passe entre la surface de but et le point de penalty (en s’orientant dans ce sens-là), mais surtout la recherche de l’angle de passe le plus probable (et il n’est pas le même que le centreur soit gaucher ou droitier). Histoire de pouvoir servir d’obstacle dès lors que le centre était botté à mi-hauteur.
Cette défense-là n’a a priori rien de très active. Akanji aura en effet joué globalement peu de duels: pour suivre les décrochages ou alors en dernier recours. Pourtant, il semble avoir gagné en dureté et il l’aura montré quelques fois. Mais moins il en fait, moins il s’expose à la faute. Et c’est peut-être une approche pertinente, surtout lorsque la Suisse a dû défendre proche de sa surface.
Premier atout offensif?
Reste que le match de Manuel Akanji n’aurait pas approché la perfection s’il n’avait pas été proactif avec le ballon. C’est bien sûr son style et cela a aussi contribué à éveiller l’intérêt de Manchester City. Il est très naturellement le premier relanceur de l’équipe de Suisse, après Yann Sommer. La passe allant du portier de Gladbach vers Akanji aura été la filière la plus explorée par l’équipe nationale à Saragosse.
Cela dit aussi les difficultés rencontrées par la Suisse dans le développement de ses actions. Il n’empêche, le central droit aura beaucoup fait pour donner de la continuité au jeu. Ses sprints sur dix mètres pour offrir un angle de passe en font un joueur conscient du rôle qu’on lui demande d’assumer. Sa volonté de ne jamais se débarrasser du ballon en acceptant la pression aussi.
Avec un reproche, tout de même: sa tendance à beaucoup jouer à sa droite, vers Widmer, qui n’est pas forcément à l’aise dans ces phases de construction basses. Mais depuis que Yakin l’a replacé à droite de la défense, les lignes de passe se sont refermées, lui qui conduit naturellement vers sa droite.
Il n’empêche, Akanji aura été précieux pour faire avancer le jeu. C’est par ses passes progressives que Breel Embolo (4 fois) ou Xherdan Shaqiri (5) ont pu le plus souvent être touchés entre les lignes. C’est aussi sur l’une d’elles que le meneur de jeu de l’équipe nationale a pu se procurer l’une des plus grosses opportunités suisses dans le jeu, juste avant la pause.
Avec toutefois un défaut: le jeu long de Manuel Akanji aura été de qualité variable. Il l’aura dit lui-même: «Je ne suis pas content de ce que j’ai réalisé balle au pied: j’ai trop souvent joué long.» Manière de dire que ça n’a rien apporté, puisque souvent, sa recherche de la profondeur n’aura été qu’une balle perdue. Sur les diagonales, en revanche, cela aura été plus précis, à l’instar de l’action qui amènera le corner du 2-1, où il trouve Widmer dans la course de ce dernier.
Mais surtout, Akanji aura été l’homme-clé par sa capacité à être décisif sur les corners. Il aura profité d’un bon travail combiné, notamment avec l’appui de Widmer et de ses blocs sur Azpilicueta, lequel était assigné au marquage d’Akanji. Avec un but et une passe décisive, il pouvait difficilement faire mieux. Peut-être aurait-il fallu s’éviter ce carton jaune pris pour contestation. Parce que la vie sans le «Jefe de la Romareda» risque d’être un peu moins rose au Kybunpark contre la République tchèque mardi.