CyclismeParis – Roubaix: une si longue sécheresse
Enfin! Après dix-neuf ans d’une attente interminable, la pluie est annoncée pour ce dimanche sur l’Enfer du Nord. C’est le retour des glissades, des chutes, des fractures ouvertes. Les jeux du cirque sont ouverts.
- par
- Jean Ammann
Jadis chassées du paradis, les femmes n’ont vraiment pas de chance: elles devraient échapper à la pluie sur Paris – Roubaix. Pour leur première offensive dans «L’Enfer du Nord», Météo France annonce ce samedi un ciel très nuageux, mais les «averses éparses» sont prévues un peu plus au sud, hélas.
Quelle déveine! Les femmes courront Paris – Roubaix au sec, elles devront se contenter de 29,2 km de secteurs pavés, elles n’auront d’autre souci que de tenir en équilibre sur ce fil chaotique, tandis que les hommes, eux, aimés du ciel, retrouveront dimanche, après dix-neuf ans d’une attente interminable, les joies de la pluie. Depuis 2002 et la victoire de Johan Museeuw, Paris – Roubaix traverse une période de sécheresse et cette sécheresse attriste les authentiques amoureux du cyclisme.
29 secteurs pavés humides
«Vingt ans plus tard, un Paris – Roubaix sous la pluie, ça serait pas mal, non?», a demandé Christian Prudhomme, le patron d’ASO, organisateur de l’événement. Thierry Gouvenou, directeur de la course, a rappelé dans L’Équipe les vertus trop souvent mal-aimées des pavés savonneux: «J’aimais bien courir sur des Paris – Roubaix humides, parce que j’étais à l’aise. Mais certains sont tétanisés à l’idée que ça puisse glisser, partir à la chute. Ce n’est pas du tout pareil, par temps sec, c’est la puissance qui va compter et l’endurance. Par temps humide, on a besoin de moins de puissance mais de beaucoup plus de pilotage, de confiance en soi, de contrôle de la trajectoire.»
Voilà. Paris – Roubaix, c’est comme les chasseurs: il y a les bons et les mauvais chasseurs. Les mauvais Paris – Roubaix, c’est quand c’est sec, c’est quand il suffit de pédaler sur 29 secteurs pavés, quand il suffit de survivre à 54,5 km de pavés, quand le tube de selle vient heurter l’occiput, quand il faut rouler à 45,2 km/h sur 257 km. Les bons Paris – Roubaix, c’est quand l’eau ruisselle de partout, que les tranchées deviennent des cratères, que le sang se mêle à la boue, que les hommes gisent et fixent, agonisants, la fracture ouverte de leur fémur ou de leur rotule, comme Philippe Gaumont en 2001 et Johan Museeuw en 1998. Ça, c’est le bon Paris – Roubaix. «Quand le pavé est mouillé, ça glisse partout, touffe d’herbes ou pas», s’est réjoui Thierry Gouvenou, le cycliste qui aimait la pluie, mais moins que six autres (il a fini 7e de Paris – Roubaix en 2002).
Faut-il que Paris – Roubaix soit une danse macabre pour que nous l’aimions? Quel est ce goût morbide qui fait que la foule se mette à baver? Faut-il toujours qu’un peloton de masochistes réjouisse un peuple de sadiques? Il serait temps que nous renoncions aux jeux du cirque et que la Trouée d’Arenberg ne soit plus le Colisée.