Royaume-UniFace à la pénurie de produits frais, tout le monde se renvoie la patate chaude
La faute au Brexit, au mauvais temps en Espagne, à la guerre des prix, à la flambée énergétique ou à Londres? Les Britanniques s’interrogent sur l’absence de fruits ou légumes dans les épiceries.
Salades, concombres, brocolis, framboises, poivrons… Le Royaume-Uni fait face à des pénuries ponctuelles, souvent localisées mais récurrentes, de certains produits alimentaires. Les étals mal garnis, voire vides, et les rationnements dans les magasins se multiplient, avec partout des affichettes: «Pas plus de trois par client.» À cela s’ajoutent des manques chroniques d’œufs depuis des mois, à cause de la grippe aviaire.
Les pénuries de produits frais devraient durer encore des semaines, selon les autorités et les chaînes de supermarchés. Le gouvernement et certaines chaînes de distribution attribuent le problème à une mauvaise météo en Espagne ou au Maroc qui a pesé sur les récoltes, affirmant que le Brexit n’y est pour rien et permettra au contraire de reprendre le contrôle de la politique agricole britannique.
Entre-temps, le ministre britannique de l’Alimentation, Mark Spencer, a sommé les dirigeants des supermarchés d’expliquer «ce qu’ils font pour remplir à nouveau les étalages». Sa collègue de l’Environnement, Thérèse Coffey, a pour sa part invité les Britanniques à privilégier les aliments locaux et de saison, estimant que trop de denrées importées étaient vendues au Royaume-Uni. Elle a déclenché une bronca face à la perspective de longs mois de betteraves, navets, courges et pommes, sans l’ombre d’une fraise.
«Système alimentaire cassé»
Pour les experts, le problème est plus profond qu’une simple mauvaise passe météorologique. La cheffe Thomasina Miers dénonce, par exemple, un système alimentaire «cassé», reposant sur une agriculture intensive «terriblement gourmande en hydrocarbures» et polluante pour les sols. Elle appelait, ce week-end, sur la BBC, à un vaste effort de modernisation de l’agriculture au Royaume-Uni, s’appuyant sur les dernières avancées technologiques.
La patronne de la fédération agricole NFU, Minette Batters, enjoignait, ces derniers jours, le gouvernement à mettre en place une stratégie pour inciter les exploitants agricoles à produire plus, et plaide pour un meilleur partage des coûts, «de la ferme à l’assiette», en passant par les distributeurs, les industries d’emballage, de transport, etc.
Accepter de payer plus
L’influent critique gastronomique du «Guardian», Jay Rayner, s’est, lui, fendu d’une tribune fustigeant l’apathie du gouvernement face à ce qu’il décrit comme une déroute annoncée depuis des années, et affirme que les Britanniques doivent accepter de payer plus pour leur nourriture. Il assure qu’entre la flambée de l’énergie, le Brexit, qui augmente la paperasserie et rend difficile le recrutement de saisonniers, et le prix de vente compressé par les géants de la distribution en pleine guerre des prix, la production de nombreuses denrées est devenue «économiquement non viable».
Certains agriculteurs tentent de s’adapter en retardant leurs semis, dans l’attente d’une accalmie des prix de l’énergie. D’autres font tout bonnement faillite. «Notre autosuffisance en a souffert», insiste Jay Rayner, rendant le pays plus dépendant des importations, et plus «vulnérable aux chocs extérieurs» – et ceux des dernières années ont été massifs et successifs: Brexit, pandémie, flambée énergétique et guerre en Ukraine…
La pointe de l’iceberg?
Les agriculteurs britanniques avaient prévenu, en décembre, que le pays allait tout droit vers une crise d’approvisionnement alimentaire, en raison de l’envolée des coûts, comme ceux des engrais ou des salariés. Certains, comme la NFU ou Jay Rayner, affirment en outre que les pénuries chroniques de certaines denrées de base pourraient n’être que le sommet de l’iceberg, pointant du doigt les problèmes d’approvisionnement en pièces détachées ou semi-conducteurs, qui plombent notamment l’industrie automobile, depuis des mois.