Afghanistan - Des dirigeants talibans ont rencontré l’ex-président Karzai

Publié

AfghanistanDes dirigeants talibans ont rencontré l’ex-président Karzai

Mercredi, alors que les évacuations se poursuivaient à Kaboul, des responsables talibans ont discuté avec un ex-président afghan. L’actuel président en exil s’est aussi exprimé.

L’ancien président Hamid Karzai en 2019.

L’ancien président Hamid Karzai en 2019.

AFP/Photo d’archives

Des responsables talibans ont rencontré l’ancien président afghan Hamid Karzai mercredi à Kaboul au lendemain de leur engagement à œuvrer à la réconciliation nationale, un geste que le dernier chef de l’État Ashraf Ghani, réfugié à l’étranger, a approuvé.

Les États-Unis ont de leur côté accusé les nouveaux maîtres de l’Afghanistan de ne pas tenir leur promesse de laisser les Afghans voulant fuir accéder librement à l’aéroport de la capitale.

Les talibans, qui cherchent à former un gouvernement, ont annoncé qu’ils avaient «gracié tous les anciens responsables gouvernementaux», a indiqué le groupe de surveillance des sites islamistes SITE. Ils ont diffusé des images d’Hamid Karzai avec Anas Haqqani, un des négociateurs de leur mouvement. Les talibans ont également rencontré, toujours selon SITE, l’ancien vice-président Abdullah Abdullah.

Ces négociations ont été bien accueillies par l’ex-président Ashraf Ghani, qui a précipitamment quitté dimanche son pays pour les Émirats arabes unis, d’où il s’est adressé mercredi à ses compatriotes. «Je souhaite le succès de ce processus», a-t-il déclaré dans un message vidéo posté sur Facebook, précisant qu’il n’avait «aucune intention» de rester en exil. «Je suis actuellement en pourparlers pour retourner en Afghanistan», a révélé celui qui a succédé à M. Karzai en 2014.

Ghani n’est «plus une personne qui compte»

Les États-Unis, pour lesquels «rien» ne laissait présager que l’armée et le gouvernement afghans s’effondreraient aussi vite, ont pour leur part répété mercredi qu’ils considéraient qu’Ashraf Ghani n’était «plus une personne qui compte en Afghanistan». Pour le président Biden, il aurait été impossible de retirer les troupes américaines sans une forme de «chaos» dans le pays. L’idée «que d’une façon il y avait un moyen de sortir sans que le chaos s’ensuive, je ne vois pas comment cela est possible», a-t-il dit mercredi à la chaîne ABC.

Dans le même temps, la vie a commencé à reprendre à Kaboul, même si la peur est là. La capitale afghane a été très calme mercredi, la plupart des administrations et des commerces ayant fermé en raison de l’Achoura, une importante fête religieuse chiite. Nombre d’Afghans ont toutefois continué de se rassembler devant les ambassades, au gré des rumeurs sur la possibilité d’obtenir un visa ou l’asile.

Mardi, les talibans ont tenté de rassurer la communauté internationale à l’occasion de la première conférence de presse qu’ils ont donnée à Kaboul, deux jours après avoir pris le pouvoir, cependant que le cofondateur de leur mouvement, le mollah Abdul Ghani Baradar, appelé à de hautes fonctions, a regagné l’Afghanistan. Le monde se souvient en effet de leur passif en matière de droits humains quand ils gouvernaient en 1996-2001.

«Tous ceux qui sont dans le camp opposé sont pardonnés de A à Z. Nous ne chercherons pas à nous venger», a lancé un de leurs porte-parole, Zabihullah Mujahid. Et d’affirmer que les islamistes avaient appris de leur premier exercice du pouvoir et qu’il y aurait de «nombreuses différences» dans leur manière d’administrer leur pays, même si, idéologiquement, «il n’y a pas de différences».

Inquiétudes sur le sort des femmes

Un message qui ne tranquillisait d’ailleurs pas les principaux intéressés: «Je cherche désespérément à partir», confiait ainsi un trentenaire afghan ayant travaillé pour une ONG allemande. «Hier, je suis allé à l’aéroport avec mes enfants et ma famille, les talibans et les Américains tiraient sur les gens, mais, malgré ça, ils continuaient d’avancer parce qu’ils savaient qu’une situation pire que la mort les attendait dehors», racontait-il.

Sous le précédent régime taliban, jeux, musique, photographie et télévision étaient interdits. Les voleurs avaient les mains coupées, les meurtriers étaient exécutés en public et les homosexuels tués. Les femmes avaient interdiction de sortir sans un chaperon masculin et de travailler, les filles d’aller à l’école. Les femmes accusées d’adultère étaient fouettées et lapidées à mort. «Nous nous engageons à laisser les femmes travailler dans le respect des principes de l’islam», a lâché M. Mujahid.

Un autre porte-parole des talibans, Suhail Shaheen, a affirmé que la burqa, le voile recouvrant tout le corps et le visage avec une grille en tissu au niveau des yeux, ne serait plus cette fois obligatoire.

Dans un communiqué commun, les États-Unis et l’UE, de même que 18 autres pays dont le Brésil et le Canada, se sont néanmoins dits mercredi «profondément inquiets» pour les droits des «femmes et des filles en Afghanistan». «Nous sommes particulièrement préoccupés par l’impact du conflit sur les femmes et les filles. L’éducation est un droit humain fondamental et est indispensable à l’exercice des autres droits humains et au développement de l’Afghanistan», a-t-on parallèlement réagi à l’Unesco.

Mises en garde

Se présentant comme plus modérés, les talibans semblent recevoir un accueil international moins hostile qu’il y a deux décennies lorsque seuls trois pays (Pakistan, Émirats arabes unis, Arabie saoudite) avaient reconnu leur régime – bien que personne ne soit encore allé jusque-là pour l’instant.

La Chine s’est dite prête à entretenir des «relations amicales» avec eux, tandis que pour la Russie, leurs assurances en matière de liberté d’opinion constituent un «signal positif». La Turquie a également salué des «messages positifs» et l’Iran fait des gestes d’ouverture.

Les Occidentaux sont pour leur part plus réticents. Les États-Unis pourraient reconnaître un gouvernement taliban s’il «préserve les droits fondamentaux de son peuple», en particulier des femmes. Londres ne travaillera «normalement» pas avec les islamistes, qui seront jugés «sur les actes, pas sur les paroles», a de son côté averti le Premier ministre britannique Boris Johnson. L’Union européenne «devra parler» aux talibans «aussi vite que nécessaire», car ces derniers «ont gagné la guerre» en Afghanistan, a admis, plus nuancé, Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne.

Une réunion extraordinaire des ministres des Affaires étrangères des pays de l’Otan destinée «à maintenir une étroite coordination et à discuter d’une approche commune sur l’Afghanistan» aura à ce sujet lieu vendredi. Et si l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis en garde contre une interruption de l’aide humanitaire, le FMI a suspendu les fonds destinés à l’Afghanistan en raison du climat d’incertitude.

Pour le procureur de la Cour pénale internationale, des crimes et des exécutions en guise de représailles ont été commis et pourraient relever de violations du droit international humanitaire.

Entraves au départ

Sur le terrain, les évacuations se poursuivaient dans des conditions difficiles. Le Pentagone, qui souhaite évacuer autant de personnes que «possible», soulignait certes que les islamistes «facilitaient le passage» vers l’aéroport de Kaboul des citoyens américains. Mais «nous avons vu des informations rapportant que les talibans (…) empêchent les Afghans qui souhaitent quitter le pays d’atteindre l’aéroport», déplorait le Département d’État.

L’Union européenne doit accueillir les Afghans faisant l’objet d’une «menace immédiate», a pour sa part déclaré la commissaire européenne Ylva Johansson et l’Autriche demande d’ores et déjà que l’UE prévoie des «centres de rétention» dans des pays voisins de l’Afghanistan pour ceux qui seront expulsés d’Europe.

Biden et Merkel satisfaits

Le président américain Joe Biden et la chancelière allemande Angela Merkel ont salué mercredi la coordination «étroite» des deux pays dans les opérations d’évacuation des Afghans qui tentent de fuir le pays après le retour au pouvoir des talibans, selon un communiqué de la Maison-Blanche.

Lors d’un entretien téléphonique, les deux dirigeants ont «salué les efforts de leur personnel civil et militaire qui collaborent étroitement à Kaboul pour évacuer leurs ressortissants, les Afghans vulnérables et les citoyens afghans courageux qui ont travaillé sans relâche ces vingt dernières années pour assurer la sécurité, promouvoir la paix et fournir de l’aide au développement au peuple afghan».

Ils ont également évoqué «la nécessité d’une coordination étroite pour fournir de l’aide humanitaire aux Afghans vulnérables dans le pays ainsi que du soutien aux pays voisins» qui ont accueilli de nombreux réfugiés.

( )

Ton opinion

5 commentaires