Legends of Space«La planète nous survivra, c’est nous qui sommes fragiles»
L’astronaute français Jean-François Clervoy partagera son expérience de l’espace à Lausanne les 18 et 19 mars. Espace où, selon lui, les dirigeants devraient aller prendre de la hauteur.
«Le public aime avoir un contact visuel avec les astronautes, afin de mieux pouvoir vivre leur expérience. Il veut comprendre ce que cela fait d’être dans l’espace». C’est ce que Jean-François Clervoy va tenter de faire ressentir les 18 et 19 mars prochains dans le cadre du grand show «Legends of Space» à l’EPFL. L’astronaute français rappelle que de tels spectacles existent depuis les années 2000, avec les «Nights of the Astronauts» qui se tenaient dans de grandes arènes et que le public en est friand.
Lui qui a effectué trois missions à bord de la navette spatiale puis est devenu président de Novespace, qui organise des vols paraboliques scientifiques et touristiques à bord d’un Airbus A310 Zero-G, devrait être le premier intervenant du spectacle organisé par le Suisse Lukas Viglietti. «Grâce à la relation que celui-ci a réussi à nouer avec les astronautes d’Apollo, il arrive à les convaincre de venir participer à ses spectacles. Ce n’est pas si évident d’avoir des gens comme Charlie Duke ou Dave Scott sur une scène suisse».
Se passer des Russes sur les missions inhabitées
Le Français, qui a travaillé avec les Soviétiques, notamment sur les sondes Vega parties étudier Vénus et la comète de Halley en 1984, abordera-t-il la délicate question de la coopération spatiale avec les Russes, compromise par la guerre en Ukraine? «Non, je pense raconter mon vécu dans l’espace. Mais si on me pose des questions sur le sujet, j’y répondrai. Je ne suis pas un expert en géostratégie. Mais je sais que l’on va devoir pendant un certain temps se passer des Russes sur les missions inhabitées. En revanche, la coopération à bord de la station spatiale va, je pense, continuer jusqu’en 2030. La gestion combinée de l’ISS pourrait d’ailleurs devenir l’un des rares, sinon le seul pont nous reliant alors avec les Russes».
Pour Jean-François Clervoy, «dès qu’on parle science, nous parlons tous le même langage, quel que soit le pays. Par le passé, les scientifiques russes que j’ai rencontrés ont toujours regretté les conflits qui entravaient la coopération. Cela doit être également le cas aujourd’hui».
Comme beaucoup de ceux qui sont allés dans l’espace, le Français se soucie de l’écologie. Il parraine une association de protection de l’océan en Polynésie française et œuvre comme ambassadeur du Réseau Océan Mondial, qui lutte pour la préservation des mers. «Quand j’ai vu la Terre d’en haut, la première chose qui m’est venue à l’esprit, ce n’est pas sa fragilité, mais au contraire les phénomènes naturels violents qu’elle connaît, tels les ouragans ou les éruptions volcaniques. La planète nous survivra. C’est nous qui sommes fragiles. Quand on regarde l’atmosphère vue sur sa tranche à l’horizon, on constate que c’est ce mince filet de gaz qui nous fait vivre. La Terre est notre vaisseau spatial, on doit y faire très attention. On en a une conscience plus aiguë lorsqu’on va dans l’espace. Tous les dirigeants du monde devraient y être envoyés, ils en reviendraient changés, ils auraient pris de la hauteur, dans les deux sens du terme».
Un astronaute doit savoir s’exprimer
L’astronaute français est également impliqué dans la poursuite de l’aventure spatiale, faisant notamment partie du comité de sélection de la relève au sein de l’Agence spatiale européenne (ESA): «Évidemment, on leur demande beaucoup de qualités, mais aujourd’hui, plus encore, il faut aussi qu’un astronaute sache s’exprimer, pour communiquer sur ses missions. Cela compte beaucoup. Thomas Pesquet, quand il était à bord de la station, avait le soutien de deux communicants à plein temps, l’un en anglais, l’un en français, pour s’occuper des réseaux sociaux, sans quoi il n’aurait jamais eu le temps de poster tous ses messages. Et si le public francophone connaît surtout Pesquet, les anglophones ont, eux, Tim Peake. L’ESA est mieux connue aujourd’hui, même si elle aurait aimé que chaque pays s’intéresse à tous les astronautes et pas seulement au sien! Maintenant, ce que je regrette, c’est qu’on les a tellement starifiés qu’ils sont désormais plus sollicités par les marques parce qu’ils sont célèbres plutôt que parce qu’ils sont astronautes».
Jean-François Clervoy se réjouit d’autant plus de venir à Lausanne qu’il va retrouver deux camarades avec qui il a volé dans la navette américaine: tout d’abord, Ellen Ochoa, qui était avec lui à bord d’Atlantis en 1994. «Je l’ai vue la dernière fois à Houston il y a 2 ans, elle venait de prendre sa retraite après avoir été directrice du Johnson Spaceflight Center de la NASA. Elle est membre de l’ASE, (Association of Space Explorers), comme tous ceux qui seront présents à Lausanne. Il faut avoir effectué au moins une orbite terrestre complète pour y être admis. Devenir astronaute, c’est également avoir le privilège de rencontrer des gens aussi brillants qu’Ellen».
Claude Nicollier, en Europe, c’est le meilleur
Son autre compagnon de vol présent, c’est le Suisse Claude Nicollier. «Nous avons une sorte de lien de fraternité avec Claude, renforcée par une mission de pur sauvetage que nous avons effectuée ensemble en 1999 à bord de Discovery: la réparation du télescope spatial Hubble. Claude, il a un esprit boy-scout: il se met toujours à fond au service de la mission. C’est un bosseur engagé, un passionné de science, qui peut se mettre à vous expliquer en détail la cinématique d’un satellite captif. Il est à la fois chercheur, ingénieur et pilote. Il cumule les expertises. Pour moi, en Europe, c’est le plus grand, le seul avec quatre missions à son actif».