Formule 1Carlos Sainz a volontairement ralenti… pour gagner!
À Singapour, le pilote espagnol a remporté la première victoire de la saison d’une Ferrari avec un brio exceptionnel: il a décidé seul d’une tactique qui a sans doute sauvé sa victoire.
- par
- Luc Domenjoz
Le pari de Mercedes
Derniers tours du Grand Prix de Singapour. Suite à l’abandon de l’Alpine d’Esteban Ocon, la course est neutralisée par une voiture de sécurité virtuelle, ce qui oblige les pilotes à ralentir leur allure de 40%, le temps d’évacuer la monoplace en panne.
Chez Mercedes, on en profite pour changer les pneus des deux voitures. Au cours des essais libres, on avait intelligemment sauvé un train de pneus supplémentaires, juste «au cas où».
Un «cas où» qui s’est alors présenté. Les deux Mercedes ont repris la piste pour les 18 derniers tours avec des pneus très performants par rapport à ceux des trois pilotes roulant devant eux, Carlos Sainz (Ferrari) en tête, Lando Norris (McLaren) deuxième et Charles Leclerc (Ferrari) troisième.
Mercedes avait fait le bon choix: avec leurs pneus neufs, George Russell et Lewis Hamilton ont rapidement passé Charles Leclerc et recollé au duo de tête.
Pour sauver la victoire
Avec leur rythme infernal, il semblait que les Mercedes allaient avaler la McLaren de Lando Norris, puis la Ferrari de Carlos Sainz. Ce dernier savait que ses pneus avant étaient en mauvais état et qu’il ne pourrait retenir le duo de Mercedes si elles arrivaient derrière lui.
Dans sa tête, il s’est dit que sa seule chance était de permettre à Lando Norris de le coller de près, à portée de DRS (le Drag Reduction System, le dispositif de réduction de la traînée de l’aileron arrière), afin que le Britannique puisse ouvrir son aileron arrière et ainsi éviter de se faire passer par George Russell puis Lewis Hamilton. Calcul risqué - il ne fallait pas que Norris puisse le passer - mais qui s’est révélé gagnant.
À un moment, justement, Lando Norris a été légèrement décroché par la Ferrari de tête et n’a plus pu ouvrir son DRS (qui permet de gagner environ 20 km/h en vitesse de pointe, mais qui ne peut être ouvert que si un pilote roule à moins d’une seconde de celui qui le précède). Du coup, George Russell s’apprêtait à passer la McLaren.
«Quand j’ai vu ça, c’était aux virages 16 et 17, j’ai dû sérieusement ralentir aux virages 2, 3 et 4 qui suivaient pour que Lando puisse revenir juste derrière moi raconte Carlos Sainz. Je savais qu’il ne représentait pas vraiment un danger, nous étions dans le même rythme depuis le début de la course. Mais je savais aussi que si les Mercedes arrivaient derrière moi, je n’avais aucune chance! Le fait d’avoir ralenti a sauvé ma course, et ça a sauvé la deuxième place de Lando. Sinon, nous étions morts tous les deux.»
Une idée de Sainz
Cette tactique consistant à ralentir volontairement pour laisser un adversaire à portée de DRS est assez inédite, et n’avait jamais été discutée dans l’écurie. «C’était une idée de Carlos, de lui seul, et qu’il a décidée pendant la course, reconnaît Frédéric Vasseur, le patron de l’écurie. Avec le recul, on constate que c’était la seule solution, mais sur le moment, disons que ce n’était pas évident de se mettre en danger volontairement par rapport à Norris.»
Pour la Ferrari de tête, il ne fallait bien entendu pas commettre la moindre erreur en laissant la McLaren aussi proche. «C’était un peu délicat, parce que je savais que je me mettais un peu de pression supplémentaire, racontait Carlos Sainz après la course. À ce moment-là, vous savez que vous ne pouvez pas vous permettre le moindre blocage de roues, que vous ne pouvez pas rater un freinage, parce qu’alors Lando aurait passé. Mais je lui donnais l’accès au DRS en espérant que ça garde les Mercedes derrière.» Et ça a fonctionné. Ferrari a remporté sa première course de la saison, la première victoire d’une «non Red Bull» cette saison. Enfin!
«La pire sensation au monde»
Depuis sa deuxième place de la grille de départ, George Russell a mené la charge pendant le plus clair de la course derrière la Ferrari de Carlos Sainz. Après avoir changé ses pneus pour des gommes médiums neuves (lire ci-dessus), le Britannique attaquait la deuxième place de Lando Norris en fin de course, la victoire semblant à sa portée s’il passait la McLaren.
Mais au tout dernier tour, alors que Lando Norris touchait le mur au virage 10, George Russell faisait de même. Sa Mercedes a été déséquilibrée pour venir s’écraser tête la première dans les protections. Fin de la course à… neuf virages de l’arrivée pour celui qui pensait la gagner. «C’était atroce, lâchait-il de retour aux stands. À ce moment, vous avez juste envie de vous enfermer dans une bulle et ne plus voir personne. C’est la pire sensation au monde, au moment où vous êtes complètement vidés physiquement et mentalement par cette course. Manquer la victoire, puis commettre une telle erreur, ça me détruit le cœur.»
Le naufrage Red Bull
Non seulement les Red Bull s’étaient mal qualifiées (11e place pour Max Verstappen et 13e pour Sergio Perez), mais en plus elles ont joué de malchance en course: Max Verstappen était parti en pneus durs, afin de prolonger son premier relais, changer de pneus plus tard que ses adversaires et passer à l’attaque en fin de course avec des gommes plus performantes.
Ce qui aurait pu fonctionner si l’abandon de la Williams de Logan Sargeant, au 20e tour, n’avait permis à tous ses adversaires de changer leurs pneus «gratuitement». Max Verstappen, lui, ne s’était pas arrêté et était provisoirement remonté à la deuxième place avant de perdre les positions les unes après les autres, roulant sur des gommes usées qui se comportaient, à l’en croire «comme sur de la glace».
Le Néerlandais a finalement changé ses pneus au 41e tour, pour repartir 15e. Il a alors réussi une remontée spectaculaire qui l’a amené à la cinquième place, à deux dixièmes d’un Charles Leclerc qu’il aurait passé le tour suivant. «Sans cette malchance avec la voiture de sécurité, je pense que je pouvais me battre avec la tête de course», a-t-il regretté après l’arrivée.
Sa série de dix victoires consécutives s’est ainsi arrêtée à Singapour, en raison principalement du manque de compétitivité de sa Red Bull RB19 sur ce circuit très particulier: «Nous savions que ce serait une course plus difficile pour nous, mais nous étions à côté de nos réglages dès le vendredi, analyse Christian Horner, le patron. Nous avons calibré notre voiture au simulateur, mais le nouveau revêtement nous l’avait placée dans une mauvaise fenêtre d’utilisation…»
L’écurie anglaise promet que tout sera rentré dans l’ordre pour le Grand Prix de Singapour de l’an prochain. En attendant, l’objectif avoué de Christian Horner, gagner toutes les courses de la saison, est manqué. Ouf!