FootballGavranovic-Yakin, chronique d’un divorce
Le buteur providentiel de l’Euro a quitté l’équipe de Suisse à deux mois du Mondial. Décryptage d’une séquence avant les deux matches de la Ligue des nations.
- par
- Daniel Visentini
On a d’abord eu droit la version «soft». Mario Gavranovic qui quitte l’équipe de Suisse à 32 ans, parce qu’il ne tenait pas à être l’éternel remplaçant, «le 23e homme de la sélection», comme l’a souligné Murat Yakin, l’entraîneur de la Suisse. Rien d’incompréhensible, au fond. Cela arrive. Et puis le récit s’est étayé. En plus de son premier message sur Instagram, doux-amer, Mario Gavranovic a parlé. Et Murat Yakin a également évoqué le cas plus précisément.
Il n’y a là pas d’affaire, mais comme un petit malaise. On remonte le temps pour décrypter la séquence.
Le timing
Deux mois avant un Mondial, alors que l’on a été l’un des héros du dernier Euro, un an plus tôt, il n’est pas fréquent de voir un joueur prendre sa retraite internationale. C’est pourtant ce qu’a fait Mario Gavranovic jeudi dernier.
Son annonce est tombée en même temps que celle de la retraite sportive de Roger Federer. Il y a une raison à cela: Gavranovic ne pouvait pas attendre. Aucune coïncidence ou erreur de communication: le vendredi, soit le lendemain, Murat Yakin annonçait sa sélection pour les deux matches de Ligue des nations de fin septembre. Le jeudi, la veille donc, Yakin avait annoncé à Mario Gavranovic qu’il n’y figurerait pas.
«Je lui ai communiqué qu’en raison de la forte concurrence à son poste, j’allais compter sur d’autres joueurs, a expliqué le sélectionneur. Il m’a alors répondu qu’il se retirait avec effet immédiat.» Abrupt.
Le caprice d’un joueur qui veut être titulaire, toujours sélectionné, considéré? Non. Le raccourci ne tient pas. Gavranovic a toujours été, depuis 2011, un international modèle. Joker presque tout le temps, sans que cela ne lui pose problème. Il semble bien que quelque chose se soit cassé. Qui tient au relationnel entre Yakin et Gavranovic.
Le précédent
«Après l’Euro, ma situation, mon rôle dans l’équipe a un peu changé», a dit Mario Gavranovic, lorsqu’il a expliqué son choix. Voulait-il plus de considération précisément parce qu’il a été l’auteur de cet extraordinaire 3-3 contre la France, qui a permis le rêve et l’exploit? Ce serait moche et ce n’est pas le cas.
Sous Murat Yakin, Mario Gavranovic a participé à dix matches. Il a disputé 167 minutes sur les 900 disponibles, soit 18,5% du temps de jeu maximum. Rien de scandaleux, sous Hitzfeld ou sous Petkovic, il était également utilisé en joker, en fin de match. Rôle dont il s’accommodait très bien. Et avec le bonheur que l’on sait un soir de juin à l’Euro: c’est en entrant à la 73e qu’il fait basculer ensuite le match dans le délire à la 90e.
Non, si Mario Gavranovic s’est retiré à l’international si subitement, c’est que rien n’a été finalement aussi subit que ça. Au mois de juin déjà, il avait fait part à Yakin et Tami de son envie de retrait. Parce qu’il sentait que son rôle avait changé, justement. Il a fallu des trésors de diplomatie à Pierluigi Tami, directeur des équipes nationales, pour convaincre le buteur de réfléchir, de prendre son temps, pendant que Murat Yakin lui assurait combien il était important pour la Suisse.
La goutte de trop
Jeudi dernier, quand Gavranovic a appris qu’il ne figurait pas dans la sélection pour les deux matches de Ligue des nations, il a donc jeté l’éponge. On peut comprendre et il l’a dit lui-même, sans équivoque.
«Ils me disent que je suis important pour eux et après je ne suis pas convoqué. Ça, je ne le comprends pas.» Limpide.
Le style de Yakin
La Suisse avait un joker au comportement irréprochable, elle doit maintenant faire sans. Est-ce la faute de Murat Yakin, qui n’a pas su composer avec Gavranovic comme Petkovic l’a si bien fait? Peut-être. En tout cas, dans l’esprit du buteur, quelque chose avait changé.
C’est le style de Yakin. Jongler avec les éléments, bousculer les lignes. En juin, avant le Suisse-Portugal au Stade de Genève, il laisse en tribune deux latéraux, Mbabu et Lotomba. Et Widmer se blesse: c’est Steffen qui est lancé à ce poste inhabituel pour le moins, heureusement sans heurts pour l’équipe. Yakin a voulu justifier cela en disant que c’était planifié, pour tester Steffen à son poste. On n’est pas obligé de le croire. Existait-il des tensions en juin entre le sélectionneur et les deux latéraux romands?
Aujourd’hui, pour cette réunion dédiée à la Ligue des nations, Murat Yakin vient d’appeler un Ardon Jashari qui n’est même pas de piquet pour remplacer Noah Okafor, forfait de dernière minute (opération dentaire). L’art du contre-pied. Tiens: Gavranovic aurait fait du bien, non?
La concurrence
Ne pas vouloir convoquer Gavranovic à deux mois du Mondial, c’était envoyer un message ambigu à un joueur déjà fragilisé dans sa relation avec l’équipe nationale et le nouveau sélectionneur. Avec la conséquence que l’on sait désormais. On doute que Yakin ait souhaité cet épilogue cassant, mais en procédant de la sorte, il a fait un choix avec les risques qui existaient.
Mais il y a une belle concurrence désormais en attaque. Seferovic, Embolo, Vargas et Itten sont bien présents. Okafor l’aurait été actuellement sans son souci dentaire. Bref, les places sont chères. Et à 32 ans, Gavranovic n’entrait peut-être plus dans les plans de Murat Yakin, ou beaucoup moins qu’avant. Une dure réalité, mais légitime aussi.
Le romantisme de ce 3-3 du 28 juin 2021 contre la France demeurera éternel. Il n’était pas un passe-droit pour de futures convocations ou pour plus de temps de jeu, mais pour tout dire, on aurait aimé que l’histoire se termine autrement entre la Suisse et Gavranovic. Même si le foot d’aujourd’hui n’a plus le temps pour ça…