FranceDes passeurs de migrants condamnés à de la prison ferme
Ils acheminaient les bateaux et les migrants sur les plages du littoral: les «têtes» d’un réseau de passeurs ont écopé de prison ferme à Dunkerque, dans le nord de la France.
D’ordinaire insaisissables, ces passeurs avaient trois visages au tribunal: ceux de Kurdes irakiens âgés de 27 à 39 ans, cheveux ras, menottés, qui comparaissaient pour «aide à l’entrée et au séjour irréguliers d’un étranger» en «bande organisée». Les aînés Rizgar Hamed Amin, 35 ans, et son compatriote Saywan Yasin, alias «tonton Star», 39 ans, ont été décrits par le ministère public comme «deux des têtes les plus importantes» d’un vaste réseau de passeurs de migrants de la France vers le Royaume-Uni.
Pour mise «en danger de la vie d’autrui», ils ont été condamnés vendredi soir respectivement à 5 et 3 ans de prison, assortis d’une interdiction définitive du territoire français. Le troisième, Goran Tofiq, a écopé de 30 mois ferme. Entre le 5 mai 2021 et le 24 janvier 2022, le groupe a organisé une vingtaine de traversées par «small boats», dont quatre passages dans la nuit du 4 août. Rizgar Hamed Amin est considéré comme la véritable «tête» du réseau.
Des mois d'enquête
C’est d’ailleurs par lui que l’affaire démarre fin avril, lorsqu’un vigile d'un magasin signale à la police qu’une Volkswagen Sharan – au nom d’Amin – semble embarquer des migrants et des jerricanes d’essence sur le parking. Le véhicule est retrouvé sur le parking d’un hôtel Première Classe de Saint-Pol-sur-Mer, où l’intéressé loue une chambre en liquide.
Le véhicule est tracé avec un GPS, des micros y sont installés, ainsi que dans ses chambres d’hôtel – il en change régulièrement. Pendant huit mois, les enquêteurs suivent les balais des voitures entre les campements et les plages. La surveillance «révèle qu’il est la tête d’un réseau de passeurs», résume la présidente Muriel Marquet. «Il gère l’approvisionnement en bateaux» et «prend entre 1500 et 2000 par personne» (autant en francs).
«Ça le fait rire, visiblement...»
«Il est organisateur de traversées mais aussi commercial, puisqu’il recense et démarche de potentiels clients, échange avec des vendeurs de matériels nautique», ajoute-t-elle. En garde à vue, il avait reconnu avoir organisé 14 passages, mais n’être qu’une petite main. Sarcastique à l’audience, Rizgar Hamed Amin a affirmé n’avoir «pas fait grand-chose» et être victime de «trous de mémoire».
«Ça le fait rire, visiblement. Moi pas, car il y a eu trois naufrages», a asséné la représentante du ministère public, Pauline Abry. L’un d’eux s’est produit quelques jours avant celui qui a causé, le 24 novembre, la mort d’au moins 27 migrants et suscité une vague d’indignation. «On s’est posé la question de savoir si ce n’était pas ce réseau-là qui était à l’initiative de ce bateau», a d’ailleurs relevé Pauline Abry.
«C’est comme le casino!»
S’il n’a pas contesté les faits et même reconnu le «travail colossal et minutieux des enquêteurs», l’avocat d’Amin a estimé que les accusés «ne sont pas la cause du malheur des migrants». «L’Angleterre, des gens en rêvent. Pour ces gens-là, (les accusés) sont indispensables. Ce ne sont pas forcément des «salauds de passeurs», a-t-il défendu.
Goran Tofiq, déjà condamné deux fois pour des faits similaires, a d’ailleurs expliqué qu’il faisait «ça pour un ami», mais qu’il n’a «jamais touché un euro». L’argent, c’est pourtant le nerf de la guerre, reprend Pauline Abry: «Le bateau coûte environ 6000 euros. Chargé, il rapporte environ 50'000 euros, dont 35'000 euros de bénéfices. Un ou deux bateaux qui passent, c’est le jackpot!»
Lors d’une virée à Lyon pour aller acheter de la cocaïne, le micro caché dans sa voiture d’Amin avait capté cette confidence à son passager: «J’ai déjà fait passer quelques groupes mais j’ai déjà tout dépensé parce qu’une voiture a été arrêtée», le matériel saisi. Son passager avait philosophé. «Ce travail, c’est comme le casino. Parfois tu gagnes, parfois tu perds.»