Procès du 13-Novembre«Je lui ai demandé: «Est-ce que tu es mort?» il ne m’a jamais répondu»
Les témoignages des rescapés des attaques de 2015 à la terrasse du bar La Belle Équipe ont bouleversé vendredi la Cour d’assises de Paris.
«Est-ce que tu es mort?»… La voix de Juliette s’étrangle dans un sanglot. Au procès du 13-Novembre, les témoignages de proches des victimes et de rescapés des attentats à la terrasse de La Belle Équipe (21 morts) ont bouleversé vendredi la Cour d’assises.
Il faisait doux le soir du 13 novembre 2015, ont rappelé les témoins qui ont défilé à la barre, un temps idéal pour se retrouver en terrasse. Celle de La Belle Équipe, un bar au cœur du Paris populaire, réunissait ce soir-là une soixantaine de personnes. On y fêtait deux anniversaires.
Juliette, 23 ans à l’époque, ne connaissait ni ce bar ni même le quartier. Elle y venait pour la première fois pour y boire un verre avec Cédric, un jeune homme rencontré peu de temps auparavant sur un site de rencontre. «J’avais un rendez-vous avec un garçon», dit-elle. Ce fut le premier et le dernier rendez-vous des deux jeunes gens.
Juliette, le visage rond, se souvient avoir insisté pour être placée en terrasse parce qu’elle aimait fumer. Les deux jeunes gens viennent de commander quand Juliette se rappelle avoir été surprise «par des tirs de pétards».
«Il se fait fusiller à mes côtés»
Ce sont des tirs d’armes automatiques. «Mon bras a été touché par une balle, il a valsé, raconte-t-elle. Sans comprendre ce qui se passait, j’ai voulu qu’on se cache, j’ai attrapé Cédric par la main. Je n’ai jamais donné une poignée de main aussi forte à quelqu’un que je ne connaissais pas.»
Les balles fusent. Le jeune homme qu’elle ne connaissait pas vraiment tente de la protéger en faisant bouclier de son corps. «Il se fait fusiller à mes côtés», dit-elle en larmes. Un claquement de portière, une voiture qui redémarre, les assaillants filent.
«J’ai posé ma main délicatement sur le torse de Cédric. Je n’avais pas envie d’aggraver ses blessures. Je lui ai demandé à trois reprises: «Est-ce que tu es mort?» Il ne m’a jamais répondu. Je pense que si je n’ai pas réussi à lui demander s’il était en vie, c’est parce que je savais qu’il était déjà décédé», dit la jeune femme dans une salle d’audience muette et bouleversée.
La fin de l’insouciance
Comme d’autres témoins, Juliette évoquera «la fin de l’insouciance». «J’espère qu’un jour, je retrouverai la Juliette de 23 ans, qui était sur cette terrasse, insouciante et légère», dit-elle le visage rougi, la voix brisée.
Il y a aussi «la culpabilité» des survivants qui rongent la mémoire de plusieurs rescapés venus témoigner.
«J’ai mis beaucoup de temps à comprendre que j’avais abandonné Cédric. Rien ni personne ne pourra me faire oublier ce que j’ai vécu», poursuit Juliette dont le visage a gardé des traces d’enfance. «Chaque jour, je m’efforce de vivre par respect pour ceux qui ne se sont pas relevés», trouve-t-elle la force de dire.
Avant elle, Chloé, «Parigote depuis trois générations», comme elle s’est fièrement présentée avec un solide accent de titi parisien, a raconté la mort de «son héros, son poto» Ludo.
Durement touchée au bras, elle doit d’être en vie à son ami Ludo qui l’a plaquée au sol dès les premiers tirs. Le frère de Ludo est à la barre pour la soutenir dans tous les sens du terme.
Des «inepties tout droit sorties du «Terrorisme pour les Nuls»
Après la fusillade, un «silence glaçant», puis «des cris et des gémissements de douleur». Ludo ne bouge plus. «Je suis entourée de cadavres (…) Les corps sont imbriqués les uns sur les autres». Chloé, Ludo et toute une bande de copains étaient à La Belle Équipe pour fêter l’anniversaire de Hodda qui décédera de ses blessures à son arrivée à l’hôpital.
Tous les amis disparus revivront le temps d’un instant par la grâce d’un petit film diffusé dans la salle de la Cour d’assises. Ce sont des images d’une autre fête d’anniversaire filmée quelques jours plus tôt. Il y a de la joie, de l’innocence, une forme de bonheur et pourtant en voyant ces images on se retient de pleurer.
Dans le box, les accusés ne bronchent pas. Roman, le compagnon d’une jeune femme grièvement blessée dans la fusillade, parle du «dédain et du mépris» que les accusés lui inspirent. Il dénonce leurs «inepties tout droit sorties du «Terrorisme pour les Nuls». «Vous sortirez de l’Histoire», leur prédit-il. «La France ne s’est pas divisée, elle tient».
L’audience reprendra mardi avec de nouveaux témoignages.