Une bourgade russe enterre son fils tombé face aux «forces du mal»

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Guerre en UkraineUne bourgade russe enterre son fils tombé face aux «forces du mal»

Louga pleure le sacrifice «héroïque» de l’un des siens. Dans ce petit village, on ne trouve aucun signe d’opposition au conflit qui ensanglante l’Ukraine.

Nikita Avrov avait vingt ans et le visage encore poupon lorsque ce tankiste a été tué en Ukraine. À son enterrement qui a eu lieu lundi, pas de place au doute: il est mort pour une bonne cause, sa patrie, la Russie.

Devant sa maison familiale de deux étages, dans la bourgade de Louga, à 150 kilomètres de Saint-Pétersbourg, le cercueil entouré de couronnes de fleurs est brièvement exposé, à l’ombre d’un drapeau de sa division de l’infanterie motorisée. Une soixantaine de personnes défilent alors pour rendre hommage et déposer quelques fleurs, avant que cinq soldats et leur officier n’emportent le cercueil du jeune homme, qui aura vécu moins d’années que le président Vladimir Poutine en a déjà passées au pouvoir.

Dans cette bourgade de 30 000 habitants, aucun signe d’opposition au conflit qui ensanglante le pays voisin depuis que les troupes russes y sont entrées le 24 février, se retrouvant face à la farouche résistance des forces ukrainiennes que Moscou présente comme des hordes de néonazis.

À Louga, certaines voitures arborent ainsi fièrement la lettre «Z», devenue un signe de ralliement patriotique à l’offensive russe en Ukraine, car elle orne de nombreux blindés de Moscou. Selon les autorités locales, Nikita Avrov était le chargeur d’un char d’assaut. Il est mort fin mars à Izioum, petite ville de l’Est ukrainien, prise par Moscou et située à mi-chemin entre Kharkiv et Sloviansk.

«Il est mort pour nous!»

Fonctionnaire, militaire ou religieux, ceux qui prennent la parole lors de la cérémonie d’hommage insistent sur le sacrifice patriotique du jeune homme. En son honneur, un rassemblement est organisé sur une place avec une flamme éternelle, à côté d’un monument rendant hommage aux soldats morts lors de l’invasion soviétique de l’Afghanistan et un autre aux militaires tués pendant la Seconde Guerre mondiale.

«Exécutant sa mission spéciale, ce gars de chez nous, Nikita Avrov, est mort en combattant les néonazis et les nationalistes en Ukraine. Il est mort pour nous!» proclame fièrement un fonctionnaire municipal, Alexeï Goloubev, alors que le défunt a été décoré à titre posthume de la médaille du courage.

«Dès que la Russie montre de la faiblesse, des êtres impurs tentent de la mettre à genoux (…) Mais ils n’y arriveront pas!», tonne de son côté le colonel Sergueï Nikitine, faisant écho au discours officiel considérant que l’Occident, profitant de la chute de l’URSS, s’est efforcé de soumettre son voisin russe, notamment en s’appuyant sur l’Ukraine.

«Forces du mal»

Avant, lors de la cérémonie d’obsèques à l’église, le pope orthodoxe avait prononcé un discours aux accents similaires. «Nikita n’a pas eu peur des forces du mal, il nous a défendus afin que nos cieux soient pacifiques», a déclaré le père Nikolaï, dans l’église où 150 à 200 personnes sont rassemblées pour écouter l’oraison funèbre avant la mise en terre.

À la sortie du lieu de culte, Sergueï et Anton, deux anciens camarades d’études d’Avrov, sont là. Ils préfèrent taire leurs noms, mais les jeunes garçons de vingt ans saluent le sacrifice de leur copain tombé selon eux au champ d’honneur. «Nikita était un militaire, il est mort au combat. C’est un acte héroïque», commente avec admiration le premier. «Nous devons défendre notre pays, même si effectivement les meilleurs (d’entre nous) meurent», abonde le second.

«Injustifiable»

Du côté des femmes, c’est un sentiment de deuil qui prédomine. Le nombre exact de militaires russes tués en Ukraine n’est pas connu, mais le porte-parole du Kremlin a reconnu la semaine dernière des «pertes importantes». Le dernier bilan chiffré de Moscou, qui date du 25 mars, était de 1 351 morts. «Ça fait si mal, ça fait si peur quand des jeunes comme ça meurent», dit à l’AFP Anna Koroleva, voisine de 59 ans, deux œillets à la main, près de la maison du défunt.

Rencontrée au cimetière, Svetlana, 48 ans mais qui préfère taire son nom, laisse poindre un peu d’incompréhension face à ce conflit qu’en Russie il est aujourd’hui interdit de dénoncer, sous peine d’être accusé de dénigrer l’armée, délit pouvant être passible de prison. «C’est terrible ce que la mère doit ressentir, on ne peut souhaiter ça même à ses ennemis. Quel malheur, quelle horreur que ces mères perdent leurs enfants. Il n’y a rien qui puisse justifier cela», lâche-t-elle.

(AFP)

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