CommentaireAbus dans l’Église: à la fin, c’est toujours Dieu qui gagne
Un mois après les révélations de l’enquête de l’Université de Zurich, le silence est revenu parmi les brebis égarées.
- par
- Eric Felley
L’ampleur des abus sexuels dans l’Église catholique en Suisse a été révélée le 12 septembre dernier à la suite d’une enquête de l’Université de Zurich commandée par l’institution elle-même. Depuis les années 1950, l’enquête a révélé pas moins de 1002 cas d’abus, 921 victimes et 510 accusés. Et ce n’est probablement que «la pointe de l’iceberg» selon l’expression consacrée. Depuis, quelques prélats se sont prudemment mis en retrait et quelques enquêtes ont été annoncées.
Le choc
Le rapport de l’Université de Zurich a montré que «les responsables de l’Église ignoraient, dissimulaient ou minimisaient la plupart des cas d’abus sexuels analysés jusqu’aux années 2000». Mais certains faits qui touchent des prêtres sont plus récents. Depuis, les réactions des milieux concernés, hommes d’Église ou fidèles, ont quasi toutes obéit au même schéma de réponses en quatre étapes. La première est «le choc», les gens sont «abasourdis», «tristes», «révoltés» ou «écœurés». Le jour de la présentation du rapport, la présidente de la Conférence centrale catholique romaine de Suisse, Renata Asal Steger, a reconnu que la situation «nous afflige et nous fait honte».
Les victimes
La deuxième étape est l’empathie avec les victimes. Une fois le choc passé, la charité chrétienne reprend le dessus face à ces «vies abîmées» ou «brisées», qu’on n’a pas écoutées, qu’on a traité de menteuses ou qu’on a ostracisées. Le temps est venu des excuses, des demandes de pardon et des intentions de prière. Mais, le mal étant fait, il s’agit d’une réparation symbolique et profondément intérieure qui n’aura d’écho, le cas échéant, qu’aux oreilles de Dieu.
On a déjà changé
Dans la troisième étape, l’Église a «pris conscience» de son déni. Elle est sortie du mensonge pour revenir à l’humilité christique qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Cette volonté de changement a déjà porté ses fruits, puisque c’est l’Église elle-même qui a demandé l’enquête indépendante. C’est déjà fait: un vent de réforme a soufflé sur les sacristies, les foyers et les internats. Les soutanes sont passées à la lessiveuse. «Plus jamais ça», telle est la promesse solennelle faite en public.
Le dernier mot de l’Église
Enfin, la quatrième étape est la plus importante car elle est de nature ésotérique. Il s’agit de la rédemption, notion centrale de la religion chrétienne, basée sur le rachat des péchés en vue du Salut éternel. Les hommes, prêtres y compris, sont des pécheurs pris dans un cycle de mauvaises actions, qui sont pardonnés grâce à l’immense miséricorde de Dieu tout-puissant. C’est là, le dernier mot de l’Église, qui surpasse tous les autres: Dieu est éternel et supervise tout.
Dans «Le Temps» de vendredi dernier, une catholique valaisanne a eu cette formule: «Admettons que la route, c’est Jésus et que l’Église est la voiture. Ce n’est pas parce que les phares sont cassés que la route s’arrête». Pour reprendre une expression sportive: à la fin c’est toujours Dieu qui gagne.
Dieu est seul juge
Vu de l’extérieur, on pourrait dire que Dieu a bon dos dans toutes les situations, car il est seul Juge de lui-même. La justice des hommes est un épiphénomène qui répare le «phare cassé», mais qui ne connaît rien de la route… Pour les victimes en chair et en os, soit elles restent au bord de la route, soit elles persévèrent dans une foi qui soulève les montagnes et accouche d’un pardon.
En 2015 était sorti le film «Spotlight», qui raconte l’enquête d’un groupe de journalistes du Boston Globe sur les abus commis dans l’Église américaine à l’époque du cardinal Bernard Law. Il y a vingt ans déjà, ce journal avait publié une enquête accablante sur les pratiques couvertes par l’Église catholique aux États-Unis. Dans le film, un des journalistes va interroger un avocat des victimes. À son impatience, il répond que ces gens-là «pensent en siècles». Autrement dit, il est impossible d’avoir raison contre l’Église, car ce serait avoir raison contre Dieu.