BienneL’UDC veut déboulonner une sculpture jugée déprimante
Le débat ne cesse jamais autour d’une œuvre emblématique du sculpteur Schang Hutter.
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Nouvelle salve contre une sculpture emblématique de feu l’artiste soleurois Schang Hutter (1934-2021): jeudi soir au Conseil de Ville de Bienne (Législatif), le revenant UDC Jürg Scherrer a tenté de déboulonner «Vertschaupet», placée depuis 1980 sur la place de la Gare, dans le flux des voyageurs.
Dans un postulat de l’ancien conseiller national de 74 ans, fondateur du parti de la Liberté, la sculpture est associée à une Bienne des «perdants», comme l’a relevé «Le Journal du Jura». L’élu agrarien demande de la déplacer dans un lieu «plus approprié».
Ici vivent les pauvres
«La cité horlogère accueille les visiteurs avec une sculpture signalant qu’ici vivent les pauvres, les chômeurs, les marginaux, les alcooliques», estime Jürg Scherrer. Cet élu a de la suite dans les idées: en 1998 déjà, mais à Berne, Schang Hutter avait remué sa conscience avec une sculpture itinérante intitulée «Shoah», posée devant l’entrée principale du Palais fédéral. Voyant un «tas de ferraille» dans cet hommage à L’Holocauste constitué d’un personnage emprisonné dans un cube d’une tonne, le Parti de la liberté présidé par Jürg Scherrer l’avait évacué.
Aujourd’hui à Bienne, le Conseil municipal constate que «l’argumentation est avant tout esthétique et symbolique» et que «l’assimilation de la sculpture à une œuvre de perdants est discutable». Le texte soumis au vote lui a semblé «définir une société divisée en deux camps: les perdants d’un côté et les gagnants de l’autre». Une vision jugée «au mieux simplificatrice», au regard de la «diversité sociale, économique, générationnelle et culturelle» de la ville.
L’Atomium de Bruxelles
Dans son argumentation, Jürg Scherrer a cité l’Atomium de Bruxelles et la tour Eiffel à Paris comme des monuments de cartes postales, alors que «Vertschaupet» fait aussi l’objet d’au moins une carte postale. Réplique de Daniela de Maddalena (Les Verts), citée par «Le Journal du Jura»: «Nous devrions être fiers des différents personnages sculptés, fébriles ou dressés droits, qui sont à l’image de la diversité présente dans la ville».
La Ville et le canton ont acquis cette œuvre pour 90’000 francs, un second tirage ayant atterri à Magdebourg (D). «Cet accueil est déprimant», s’était offusqué l’ancien parlementaire Peter Moser (PLR) en 2013, en citant en exemple les «Nanas» colorées de Niki de Saint Phalle. «Cette œuvre est négative! Mettons-en une plus gaie», avait-il demandé, en vain.
L’ami de Gerhard Schröder
Schang Hutter créait des figures marquées par la fragilité. Pétri d’Histoire, affilié au PS soleurois, il était l’ami de l’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder. L’artiste a étudié à Munich dès 1954, avant de séjourner à Varsovie, Hambourg et Berlin. Il est resté très marqué par les plaies laissées par la guerre.
Un mal de dos l’a fait se concentrer sur les sculptures de bois. Celle de Bienne est en bronze, mais elle a été façonnée sur du bois avant d’être moulée pour deux tirages en métal. Après une opération des disques intervertébraux en 1998, Schang Hutter ne devait plus soulever d’objets dépassant dix kilos. Il a cessé son activité et vendu ses outils.
«Frei, Sein, Tanz»
À Montreux, la statue «Frei, Sein, Tanz» a fait couler beaucoup d’encre dès son installation d’abord provisoire sur la place du Marché, en 2001. La proposition émanait du conseiller fédéral socialiste Moritz Leuenberger, qui souhaitait que la Suisse romande connaisse mieux Schang Hutter.
Surnommée «Les oiseaux», cette sculpture achetée 300’000 francs est formée de quatre danseurs plantés sur des piliers hauts de 23 mètres. Elle symbolise la lutte contre l’exclusion, la guerre et la déportation. En 2014, le parlementaire Tal Luder a voulu la déplacer, sans plus de succès que Peter Moser et Jürg Scherrer à Bienne