AfriqueDes Soudanais par milliers bravent l’armée au pouvoir et les lacrymos
Des dizaines de milliers de manifestants sont encore descendus dimanche dans la rue à Khartoum pour réclamer le départ de l’armée qui s’est emparée du pouvoir fin octobre lors d’un coup d’État.
La police soudanaise a tiré dimanche des grenades lacrymogènes à Khartoum pour disperser les dizaines de milliers de manifestants descendus dans la rue pour s’opposer à l’armée, au pouvoir depuis le coup d’État militaire du 25 octobre.
«Le peuple veut la chute de Burhane», scandaient les manifestants en référence au général Abdel Fattah al-Burhane, qui a mené le coup d’État, ont rapporté des témoins. Ces manifestations interviennent trois ans après le début de la «révolution» au Soudan qui a renversé Omar el-Béchir après trente ans de dictature.
Après le coup d’État et une répression qui a depuis fait 45 morts et des centaines de blessés, les fers de lance de la «révolution» anti-Béchir veulent relancer un mouvement qui s’est essoufflé parmi les 45 millions de Soudanais englués dans une inflation à plus de 300%.
Opposés à ce qu’ils appellent l’«occupation» des militaires, les partisans d’un pouvoir civil ont appelé à manifester dimanche contre l’armée, dont le plus haut gradé, le général Burhane, a mené le coup d’État qui a rétabli la prépondérance des militaires. «Nous sommes confrontés aujourd’hui à une régression majeure dans la marche de notre révolution qui menace la sécurité, l’unité et la stabilité du pays et risque de mener l’État dans un abîme qui ne nous laissera ni patrie ni révolution», a déclaré samedi le Premier ministre civil, Abdallah Hamdok.
Centre de la capitale isolé
La police antiémeute a été déployée aux principaux carrefours de Khartoum, tandis que les autorités soudanaises ont fermé des ponts reliant le centre de la capitale à des banlieues de l’ouest et du nord. Toutes les routes entourant le quartier général de l’armée dans le centre-ville ont par ailleurs été fermées avec des barbelés et des blocs en béton.
«Le coup d’État a coupé la route à la transition démocratique: avec lui, les militaires ont pris le contrôle total de la vie politique et économique», affirme Achraf Abdelaziz, patron du quotidien indépendant «Al-Jarida». Nul ne sait quelle part de l’économie est entre les mains des militaires, mais ils contrôlent de nombreuses entreprises. Avec le putsch et la suppression de l’aide internationale en rétorsion, dit encore Achraf Abdelaziz, «l’appareil sécuritaire l’a emporté sur les institutions politiques. Or, pour mener une transition démocratique, il faut que le politique soit le moteur».
Cinq millions d’armes aux mains de civils
L’armée a bien rétabli le Premier ministre Abdallah Hamdok et promis des élections libres en juillet 2023, mais n’a toujours pas formé de gouvernement. En face, les pro-civils, qui accusent Abdallah Hamdok de «trahison», restent profondément divisés. Ils n’ont pas jusqu’ici présenté de plan d’action, ne cessent de répéter les diplomates qui les rencontrent régulièrement. Au Soudan où, depuis des décennies, des conflits ont fait des centaines de milliers de morts, le scénario du pire pourrait déjà être enclenché, préviennent les observateurs, avec, officiellement selon Khartoum, cinq millions d’armes aux mains de civils.