Hockey sur glaceGérard Dubi: «Après les matches, on était bien aussi»
L’ancienne vedette du Lausanne HC évoque les 100 ans de l’institution, la fameuse promotion de 1978 et ce lien indéfectible qui l’unit à son club.
- par
- Simon Meier
Gérard Dubi prendra le chemin de la Vaudoise aréna, ce dimanche, afin d’assister au match du centenaire de son Lausanne HC, face à Ajoie (15h45). Jeudi, l’ex-fine gâchette de 78 ans, dont le No 10 a été retiré pour l’éternité, a évoqué cet anniversaire, ce lien si spécial. L’entretien a commencé au bord de la gouille Sainte-Catherine, là où le club fut fondé le 23 janvier 1922 sur les hauts de la ville; la discussion s’est terminée dans le car ultramoderne des joueurs, qui nous ramenait aux petits fours de Malley. Deux époques, une même passion.
Qu’est-ce que ça vous inspire de vous dire que le LHC a été fondé là, sur cet étang, le 23 janvier 1922?
Ça m’inspire qu’un club est quelque chose d’assez incroyable. Tout au long de sa vie, tout change: les patinoires, les comités, les joueurs, tout change plein de fois en 100 ans… Et le LHC est toujours là. Moi j’ai voulu y commencer à 9 ans, quand mon père est descendu de Villars-sur-Ollon à Lausanne pour monter une entreprise de menuiserie. Comme on m’a dit que j’étais trop petit, j’ai attendu d’en avoir 10.
Le coup de foudre a-t-il été immédiat?
Oui. Depuis ce jour où je suis entré dans l’équipe des minimes de ce club, j’y suis resté attaché. Le LHC reste gravé dans mon cœur, avec tous ces souvenirs comme joueur ou dirigeant. A chaque fois qu’il se passe un truc, comme aujourd’hui, on me convoque (sourire). J’ai beaucoup donné au LHC, j’ai été capitaine de l’équipe pendant 14 ou 15 ans, mais le club me le rend bien. Ils m’invitent, me mettent en avant, c’est agréable.
Parmi tous ces souvenirs avec la première équipe, entre 1960 et 1980, lesquels remontent-ils en priorité?
Le grand truc, c’est notre montée en Ligue A, en 1978, dans une patinoire de Montchoisi pleine à craquer. C’était contre Davos, on avait gagné 7-4 et je crois que la «GDF» (ndlr: la fameuse ligne de parade Gratton-Dubi-Friedrich) avait mis cinq ou six goals. A nous trois, on avait mis deux tiers des points cette saison-là. Il faut dire qu’on jouait beaucoup, c’était un peu violent pour les autres.
Et les souvenirs moins rigolos?
Il y a eu toutes ces années en Ligue B… Qu’il y ait un championnat unique ou deux groupes régionaux, on était toujours bien placés, mais on ratait toujours le coche pour la montée. Je peux vous dire qu’en 1978, je sais pourquoi j’ai fini à genoux sur la glace. C’était la consécration. On sortait d’un tunnel de 17 ans dans cette Ligue B après avoir connu plein de crève-cœur.
Cette promotion a dû être suivie d’une sacrée nouba, comme dit Bernard Aeschlimann dans 120 secondes?
Oui, incroyable. En même temps, j’ai le souvenir de quelque chose d’assez calme. On est resté longtemps à Montchoisi, peut-être jusqu’à 2 heures du matin, à boire des bières. On a fait une bonne fête qu’on a terminée chez moi, avec des amis du quartier, des supporters qui ont bu des verres à la maison, tout bien. On a toujours eu un très bon état d’esprit à Lausanne. Sur la glace, tout le monde jouait bien le jeu quand il fallait se retrousser les manches. Et après les matches, on était bien aussi. On commençait toujours par aller dire bonjour au bistro de la patinoire, histoire d’aller serrer quelques mains - les municipaux, les politicards étaient souvent là. Après, on allait souvent toute l’équipe dans un restaurant, avec nos femmes et même les enfants qui commençaient à pousser. C’était très familial. Je me souviens aussi du soir où nous avions retrouvé les gars de Lugano après un match. On avait fini chez moi à une quinzaine, à faire des fondues, des spaghettis, des trucs.
Vous étiez visiblement aussi un leader hors glace, ça se terminait souvent chez vous…
Ouais, c’est vrai (il se marre).
Comment voyez-vous le hockey d’aujourd’hui?
C’est quelque chose de plus dur à gérer. Toute performance doit pouvoir être assumée le lendemain et dans les jours qui suivent, jusqu’au prochain match. Nous, on était amateurs: quand on faisait un mauvais match le mardi soir, le mercredi matin on était au boulot - ça relativise tout. Cela ne m’aurait pas dérangé d’être hockeyeur professionnel aux conditions d’aujourd’hui. Ils sont bien planqués, avec du temps pour la famille et de bons salaires.
Et vous, vous gagniez combien grâce au hockey?
Rien, enfin presque. En début de saison, on allait vers le président Hoefliger. Il me disait: «Ecoute Gérard, je crois que cette année, on va te donner 5000 francs.» Et à la fin, quand j’allais le retrouver, il commençait comme ça: «Ouh, tu sais, l’année a été dure… Si on te donne 2000, ça te convient?» Je lui disais «Mais oui» et il n’y avait aucun problème.
Les salaires d’aujourd’hui vous semblent-ils justes ou démesurés?
Je trouve que c’est beaucoup. Quand on pense qu’un bon joueur qui évolue en équipe nationale se fait entre 500 et 700’00 par année, c’est des sacrés salaires. Mais il faut prier pour ne pas être blessé. Cela dit, je n’ai pas le moindre regret par rapport à ça. Des gens que je croise me disent parfois que j’ai raté mon truc. Mais je suis très content comme ça, je suis devenu propriétaire de ma boîte de menuiserie, en haut de Montoie,
Quel regard portez-vous, en tant que supporter, sur l’actualité du LHC et la saison en cours?
(Silence) En fait, je suis un peu déçu qu’avec le contingent que nous avons, nous n’arrivions pas à de meilleurs résultats. Quand on regarde cette équipe, on a tendance à dire qu’ils n’ont pas le même état d’esprit que nous à l’époque. Ça a trop brassé, trop de joueurs sont partis, revenus, c’est dur de créer une unité dans ces conditions. (Pause) En réalité, je vais rester sur ma réserve dans mes commentaires. Je suis tellement attaché à ce club que je n’aime pas trop le critiquer. Je ressens un petit gâchis, parce que cela pourrait être beaucoup mieux. Mais je n’en parle pas. Quoi qu’il fasse, ce club m’est trop cher. Quand ils gagnent trois matches de suite, c’est Noël.
Ce maillot suspendu pour l’éternité à la Vaudoise aréna, à quel point est-ce important à vos yeux?
En fait, j’en suis fier. Ça veut dire que, dans la carrière que j’ai faite à Lausanne, j’ai apporté quelque chose, j’ai laissé une trace. Et on me le rend bien, puisque j’ai été le premier dont le numéro est monté. J’apprécie.
Laisser une trace, quoi qu’on fasse, n’est-ce pas le but d’une vie?
Hé oui… (Pause) Hé oui… J’ai le sentiment d’avoir eu un joli parcours. Tout a bien tourné professionnellement, je suis aussi très content pour mon fils, qui a aussi joué au hockey avant de prendre d’autres orientations. Et maintenant, il est directeur des Jeux. En plus d’avoir vécu ce que j’ai vécu, j’ai Christophe qui rayonne au CIO et qui nous fait - avec ma femme - un joli cadeau.