CommentaireLes rois du tabac restent sans gêne à Berne
Cette année Philip Morris a contribué pour des dizaines de milliers de francs pour la campagne de l’UDC et du PLR. Pour gagner du temps.
- par
- Eric Felley
Selon un article paru dans «24 heures» ce vendredi, le cigarettier Philip Morris International a fait des dons de 35 000 francs cette année à l’UDC et au PLR, à leurs demandes, pour financer leurs campagnes. C’est l’application de la nouvelle loi sur la transparence du financement des partis qui a permis de tracer cet argent. Selon les précisions du cigarettier lui-même, c’est la première fois depuis une vingtaine d’années qu’il a mis sa main à la poche pour soutenir des partis.
Alors pourquoi cette année? Pourquoi agir ainsi, sachant que la transparence est de mise dorénavant pour les dons de plus de 15 000 francs? Certains commentaires sur les réseaux sociaux n’hésitent pas à parler de «corruption» des partis par l’argent du tabac. Mais le terme de «corruption» n’est jamais bien perçu dans la Berne fédérale, il s’agit simplement de lobbyisme, que l’on peut qualifier d’intensif dans le domaine du tabac.
Le «couac» devant le peuple
À Berne, cela fait huit ans que les Chambres fédérales traitent de la loi sur les produits du tabac où les tenants d’une politique sanitaire se heurtent aux intérêts des cigarettiers. Leur influence ne date donc pas d’aujourd’hui. Ces huit années ont toutefois été marquées par un «couac» devant le peuple. Celui-ci a accepté le 13 février 2022 l’initiative qui vise à protéger les jeunes de la publicité du tabac. Le Parlement, malgré lui, est donc en train de modifier la loi pour répondre à la décision populaire.
Cependant, dans sa première lecture, le Conseil des États a déjà tenté d’affaiblir au mois de septembre la mise en œuvre de l’initiative. Les sénateurs ont refusé d’interdire les vendeurs ambulants dans les lieux pouvant être fréquentés par des mineurs. ils ont conservé une exception pour la publicité des cigares et cigarillos et ils ont accepté une proposition visant à permettre la publicité dans des lieux, où les jeunes n’auraient pas accès, par exemple des carrés VIP dans les festivals ou les stades.
Gagner du temps
Cela n’étonnera personne que les élus de l’UDC et du PLR de la Chambre des cantons ont déjà voté ces exceptions au nom de la liberté de commerce. Le nouveau Parlement qui sortira des urnes le 22 octobre reprendra cet objet lors d’une prochaine session. S’il est encore plus à droite que l’actuel, nul doute que les débats vont prendre encore du temps et s’éterniser en divergences entre les deux chambres. C’est là, la grande force du lobby des cigarettiers depuis toutes ces années: ralentir les débats et repousser les décisions. La mise en œuvre de l’initiative n’est prévue que pour 2026.
La Suisse a signé la Convention de l’OMS pour la lutte antitabac en 2004, mais c’est le seul pays en Europe et un des rares dans le monde à ne pas l’avoir ratifié, c’est-à-dire qu’elle reste sans effet. Aujourd’hui près d’un tiers des jeunes entre 15 et 25 ans fume en Suisse. C’est énorme et inacceptable en termes de santé publique. Les 35 000 francs que Philip Morris International donne à l’UDC et au PLR sont en fait un encouragement à continuer comme ça.