BienneLe handicapé du désert que tout le monde aime
Une pétition a été déposée mardi en faveur d’Abdallah, un modèle d’intégration soutenu bien au-delà de son quartier.
Mardi matin à la chancellerie biennoise, Abdallah Abdouali (52 ans) s’est présenté avec ses béquilles et son sourire. Ses soutiens lui ont remis un paquet de 1383 signatures en sa faveur, de manière à régulariser sa situation. Parmi les signataires: Patrick Widmer, président de l’UDC Bienne.
Quatre ans de procédure exige de lui, selon ses mots, «un mental d’acier» et «des nerfs solides». La pétition remise à la chancelière Barbara Labbé a pour but d’alerter les autorités sur une urgence humanitaire, après le refus d’un permis par l’autorité compétente qui ne l’a ni vu, ni entendu, mais qui ne voyait pas dans l’Algérie un pays à risque.
Petite enfance
Une majorité de parlementaires biennois ont signé la pétition, mais Abdallah a reçu un coup de pouce plus inattendu: celui des chauffeurs de trolleybus habitués à véhiculer ce handicapé à la mobilité réduite. Souffrant de graves séquelles d’une poliomyélite contractée dans sa petite enfance, Abdallah ne marche pas vite.
La démarche entreprise vise l’octroi d’un permis de séjour, via un préavis favorable du Conseil municipal. «Il touche l’aide d’urgence, alors qu’il pourrait subvenir à ses besoins», estiment ses soutiens. Ses voisines ont dit tout le bien qu’elles pensaient de lui: «Tu es plus Suisse que les Suisses», lui a dit Pierrette. «Tu as besoin d’aide, mais tu en as donné», lui a dit Karin.
Qualité de vie
Depuis son arrivée à Bienne, Abdallah suit régulièrement des thérapies qui ont «considérablement amélioré sa santé et sa qualité de vie», selon ses soutiens. Dans le désert algérien, l’ostéopathie est difficilement accessible, de même que les appareils orthopédiques.
Dans l’attente d’une régularisation, Abdallah n’a pas droit à une rémunération, mais bénévolement, il multiplie les emplois d’intervenant communautaire pour le Centre social d’aide aux migrants, en accompagnant ici un malade, là un requérant. C’est ce qu’il a fait hier au Centre médical., une heure après le dépôt de la pétition. «Dans un univers social et culturel, il est devenu un personnage public: une personne sur quatre le connaît», glisse sa collègue Amel.
Deuxième langue
L’atout d’Abdallah, c’est sa capacité de traduction français-arabe, mais aussi celle d’enseigner l’arabe, sa deuxième langue: «On vient de Genève pour suivre son cours», dit une voisine. Sa première langue touareg lui a été transmise, mais pas enseignée. De plus, Abdallah n’a pas entendu parler tamachek bien longtemps: dès l’âge d’un an et jusqu’à six ans, il a séjourné dans un hôpital d’Alger, à 2300 kilomètres de chez lui, du côté de Tamanrasset.
En 1979, à l’initiative de «Terre des hommes», Abdallah a été hospitalisé à l’Hôpital Pourtalès de Neuchâtel pour une première opération réalisée à l’âge de dix ans. Cette intervention lui a donné, comme il dit, «la faculté de bien marcher».
«Moi banane»
Sa première phrase en français a fait s’écrouler de rire les infirmières: «Moi banane», a-t-il dit en pointant son index sur son torse, après en avoir mangé une pour la première fois. Ce fruit inédit, il l’a avalé d’un trait: chez les Touaregs, dit-il, «on ne conserve pas les produits». Dans le désert, dans son souvenir, «il n’y avait pas grand-chose».
«Le lac, j’ai cru que c’était la mer», sourit Abdallah, en évoquant son séjour neuchâtelois. À Bienne, celui qui l’héberge depuis quatre ans dans le quartier des Tilleuls est son cousin Mohamed Hamdaoui, journaliste et politicien bien placé pour actionner les bons leviers, tout en affirmant ne pas agir par intérêt familial.
Gâcher sa vie
«Le renvoyer dans sa région d’origine, dans l’extrême sud de l’Algérie, où les conditions sanitaires ne sont pas adaptées à son lourd handicap, reviendrait à gâcher sa vie», est-il écrit dans son dossier. Après avoir tenu un atelier de calligraphie pendant 87 jours sur la «Robert-Walser Sculpture» installée devant la gare de Bienne en 2019, Abdallah a reçu par écrit le soutien de son mentor, le plasticien Thomas Hirschhorn.
Ses voisins le disent philosophe. Mais quand les radios locales lui demandent ce que signifierait un retour en Algérie, Abdallah peine à trouver ses mots. Il articule «insurmontable» et «impossible à vivre». Est-il plus Suisse que les Suisses, comme l’affirment ses voisines? «Je me sens bien parmi les Suisses. Cette culture, cette société, c’est comme si c’était ici que ma vie devait être faite», répond-il. Son cousin l’a prévenu: s’il obtient un permis B, Abdallah devra partager une choucroute avec lui.