SuccèsLe phénomène «Demon Slayer» prend (encore) de l’ampleur
L’adaptation sous forme de série du manga ayant conquis la planète entière débarque aujourd’hui sur Amazon Prime Video et Netflix. Immanquable!
- par
- Christophe Pinol
Octobre 2020. Alors que la réouverture des salles de cinéma après le premier confinement s’est faite quelques mois plus tôt dans une torpeur mondiale généralisée, celles du Japon connaissent au contraire une effervescence phénoménale. Pas étonnant, «Demon Slayer – Le train de l’infini», adaptation pour le grand écran du dernier phénomène manga en date, vient de sortir en salles. En à peine quelques semaines, le long métrage réussit d’ailleurs l’exploit de devancer au box-office national «Le voyage de Chihiro», de Hayao Miyazaki, indétrônable depuis deux décennies, et «Titanic», de James Cameron, devenant ainsi le plus gros succès de l’histoire du cinéma japonais avec 32,5 milliards de yens de recette (272 millions de francs). Plus de 24 millions de spectateurs sont allés le voir en salles. Un miracle en pleine pandémie. Et depuis, le phénomène a gagné le reste du monde.
Aujourd’hui, Amazon Prime Video va permettre aux néophytes et/ou profanes de prendre le train en marche puisque la première saison de la série télé y est disponible depuis lundi 1er novembre (notez que la plateforme propose 7 jours d’essai gratuits). Etrangement, la série débarque également au même moment sur Netflix – mais Netflix France uniquement –, ce qui la rend tout de même accessible aux abonné-e-s suisses possédant un bon VPN.
La genèse du succès
Pour revenir à l’origine du phénomène, il faut remonter 5 ans en arrière, avec la parution début 2016 du manga éponyme, «Kimetsu no yaiba» en version originale, dans le magazine Weekly Shônen Jump. Très vite, la série rencontre un petit succès, avec une montée en puissance graduelle au fil des mois. Du moins jusqu’à la diffusion de la version animée à la télévision, en avril 2019. Si le tome 15 culmine alors à 200'000 exemplaires vendus, peu avant le début de la série, les compteurs explosent dès la parution du n°18, le premier à être publié après la fin du feuilleton, puisqu’il se vend brusquement à près de 1,5 millions d’exemplaires. Depuis, c’est l’hystérie collective: chaque nouveau volume s’arrache à plus d’un million d’exemplaires la première semaine, provoquant des files d’attentes interminables devant les librairies, des parents baptisent leurs enfants du nom des personnages de la série et l’éditeur Toyo Keizai a annoncé il y a quelques semaines que le merchandising de la franchise avait déjà généré plus de 7 milliards de francs. On a même vu l’ex Premier Ministre en personne, Yoshihide Suga, 71 ans, se livrer l’an passé à un joli clin d’œil et débuter une session du Parlement en annonçant être prêt à répondre aux questions «dans un souffle de concentration intégrale», une technique de respiration pratiquée par les héros du manga en plein combat.
Une sauce qui prend
Pourtant, avec ses allures très classiques, rien ne laissait présager à la série un tel succès. On y suit l’histoire de Tanjiro Kamado, un jeune vendeur de charbon qui voit un jour toute sa famille décimée par des démons, à l’exception de sa sœur, Nezuko, transformée en l’un d’eux. Pour tenter de la ramener dans le monde des humains, Tanjiro l’embarque sur son dos – dans une boîte en bois, un morceau de bambou fiché entre les dents en guise de bâillon pour l’empêcher de mordre – et part rejoindre les Pourfendeurs de démons, une organisation secrète chargée de protéger la population, en espérant pouvoir trouver un remède. On y retrouve ainsi le thème classique du parcours initiatique qui va permettre au personnage de progresser de combats en combats. L’histoire prend place durant l’ère Taishô (entre 1912 et 1926), soit quelques années après la réouverture du Japon au monde, après 150 ans de cloisonnement. L’époque permet ainsi à la série de surfer à la fois sur une imagerie traditionnelle faite de sabres, de kimonos et d’aspects mythologiques, tout en faisant appel à des décors occidentalisés, plus urbains, et assez rarement représentés dans ce type de mangas.
Cela suffit-il à expliquer son succès? Probablement pas. La qualité de son animation fait aussi pencher la balance. La direction artistique, menée par le studio Ufotable, est particulièrement léchée, pleine de couleurs flashy. Les combats sont souvent épiques et la représentation des attaques, avec ces effets d’eau générés par les protagonistes, ne sont pas sans rappeler les célèbres estampes d’Hokusai. A côté de ça, les personnages sont assez attachants. La relation entre le frère et la sœur est particulièrement touchante, mais les deux sidekicks rencontrés en cours de route par notre héros – un couard de service qui tombe amoureux de la première fille venue, et donc de Nezuko, ainsi qu’un surexcité de la baston élevé par des sangliers – sont assez savoureux.
Un mystérieux créateur
Après, on ne va pas entrer dans les détails, mais la savante stratégie de programmation de ces différents supports – renvoyant les fans du manga à la télé, de la télé au cinéma, et retour au manga – a visiblement aussi permis de créer un effet boule de neige fantastique sur les réseaux sociaux.
Et puis la mystérieuse identité du mangaka, Koyoharu Gotouge, l’auteur/e de la bande-dessinée, a probablement aussi beaucoup aiguisé la curiosité des fans. Car à l’heure actuelle, on ne sait rien de cette personne. Aucune photo d’elle n’a fuité et le maigre texte de présentation de l’éditeur est rédigé en écriture inclusive, ne spécifiant que son âge: 31 ans. On ne sait donc même pas s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. Il y a quelques mois, un employé de la maison d’édition Shônen Jump avait laisser entendre que Koyoharu Gotouge serait de sexe féminin mais l’information n’est de loin pas officielle. Tout au plus sait-on qu’il/elle serait déjà en train de plancher sur son prochain ouvrage, une histoire mêlant comédie et science-fiction. Et Panini annonce pour le 17 novembre la parution en français de deux mangas également signés par l’auteur/e: un spin-off de «Demon Slayer» ainsi qu’un recueil d’histoires courtes réunissant 4 récits indépendants publiés avant la saga.
La saga s’étend au cinéma
Le film, lui, est la suite directe de la série mais se focalise sur un personnage secondaire de celle-ci, Kyojuro Rengoku, le pilier de la flamme. Sorti à la sauvette dans les salles Pathé en Suisse romande au moment de la réouverture des cinémas au mois de mai dernier, sans distributeur officiel, grâce à des tractations spéciales avec le Japon et le distributeur français, il avait attiré plus de 8000 fans malgré une absence totale de promo, que ce soit dans la presse ou les salles elles-mêmes. Mais en France, où sa sortie a été correctement agencée, il a réuni plus de 700'000 spectateurs et talonnait même «Adieu les cons», d’Albert Dupontel, sur la deuxième marche du podium des films les plus populaires au moment du déconfinement.
Pourtant, lorsque Panini lance l’adaptation française du manga début 2018, sous le titre «Les rôdeurs de la nuit», les ventes sont catastrophiques. Au point de voir l’éditeur en stopper l’édition à l'issue de la parution du 3e tome. Mais après l’explosion des ventes au Japon, et son succès aux Etats-Unis, Panini corrige le tir: il réédite les premiers volumes en ajustant la traduction sur celle des animes et reprend le titre international. Depuis, le succès est total. En juillet dernier, le tome 18 (sur les 23 que compte la série au Japon) s’est même classé en tête des meilleures ventes de livres, devançant le dernier Guillaume Musso, «La vie est un roman». Le 20e est attendu le 12 janvier prochain.
Déjà la saison 2
En attendant, la saison 2 de l’anime a débuté il y a quelques semaines au Japon et la plateforme française de streaming Wakanim en assure la diffusion simultanée avec un nouvel épisode (sous-titré en français) tous les dimanches (la plateforme propose deux semaines d’essai gratuit). Le premier tiers de la saison n’aura que peu d’intérêt pour les fans du film puisqu'on y retrouvera l’intégralité de ce dernier découpé en plusieurs épisodes, avec toutefois quelques plans inédits nous promet la production, et surtout un premier volet nous permettant de découvrir ce qui amène Kyojuro Rengoku dans le train de l’infini. Les choses sérieuses, elles, débuteront le 5 décembre, moment où la série abordera enfin des arcs narratifs inédits. Sachant que la première saison couvre les 6 premiers tomes du manga, le film les deux suivants, on imagine que la saison 2 nous mènera jusqu’aux alentours du 12e volume. De quoi laisser ensuite encore de la marge pour quelques saisons supplémentaires.