Guerre en Ukraine: quand la Suisse ménage la chèvre et le chou

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CommentaireGuerre en Ukraine: quand la Suisse ménage la chèvre et le chou

En refusant d’autoriser l’utilisation de son matériel militaire en Ukraine, la Suisse donne un message trop ambigu à ses alliés occidentaux. La pression va augmenter sur sa neutralité.

Eric Felley
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Eric Felley
À Davos, Alain Berset a défendu la neutralité suisse en matière d’armement, notamment avec la première dame ukrainienne, Olena Zelenska, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Ici compagnie du patron du WEF, Klaus Schwaab.

À Davos, Alain Berset a défendu la neutralité suisse en matière d’armement, notamment avec la première dame ukrainienne, Olena Zelenska, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Ici compagnie du patron du WEF, Klaus Schwaab.

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Cette semaine au World Economic Forum de Davos, la guerre en Ukraine a été omniprésente dans les discussions. Pendant ce temps, les nouvelles venues d’Ukraine ont été une fois de plus affligeantes avec le tir d’un missile russe sur un immeuble de Dnipro, la chute de l’hélicoptère du ministre de l’Intérieur sur une garderie, mais également l’offensive russe qui progresse dans la région de Donetsk.

L’appel du président Volodymyr Zelensky à recevoir de nouvelles armes de la part des Occidentaux se fait pressant. Pour le président du Conseil européen, Charles Michel, «des chars doivent être livrés» aux Ukrainiens car «les prochaines semaines pourraient être décisives». Jeudi, le Royaume-Uni, le Danemark et la Suède ont promis de livrer à Kiev des missiles et de l’artillerie.

Position double

Dans cet effort des Occidentaux pour soutenir militairement l’Ukraine, la position de la Suisse devient de moins en moins lisible à l’étranger. Que soit au WEF ou au Conseil de sécurité de l’ONU, son président Alain Berset et son ministre des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, martèlent à quel point la Suisse condamne l’agression russe en totale violation des règles internationales et se joint aux sanctions occidentales. De l’autre, elle refuse obstinément que du matériel militaire suisse puisse se retrouver du côté des Ukrainiens pour défendre leur territoire.

En quelque sorte, la Suisse revendique une neutralité à la carte, étayée par des arguments juridiques. Mais c’est un peu comme si votre voisin d’immeuble est attaqué. Vous condamnez fermement cette agression tout en restant chez vous et en refusant de fournir des moyens à ceux qui veulent l’aider à se défendre. Cette position commence à agacer les clients de la Suisse, dont l’Allemagne, qui pourrait dorénavant acheter son matériel militaire ailleurs afin de pouvoir l’utiliser à bon escient.

Le droit de se défendre

Le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a déclaré lors du WEF: «Dans le cas de l’Ukraine, il ne s’agit pas de neutralité. Il s’agit de respecter le droit à la légitime défense, de protéger l’État de droit, et de défendre la charte des Nations Unies. Les deux parties ne sont pas à égalité. On parle d’un agresseur et d’une victime d’une agression. Le droit international est absolument clair là-dessus, le pays agressé a le droit de se défendre».

Mais la Suisse revendique le droit de ne pas y participer. Les arguments avancés par le Conseil fédéral pour justifier sa position relèvent d’une vision de la neutralité à long terme, qui doit assurer la «crédibilité» de la Suisse, selon le terme d’Alain Berset. Cependant cela donne l’impression aussi de vouloir ménager l’agresseur. Certes la Russie a déjà catalogué la Suisse dans la liste des pays «hostiles» à la suite de la reprise des sanctions. Cependant d’aucuns y voient une situation qui ne met pas définitivement en péril les relations entre les deux pays.

Si la Suisse cède à l’appel des Européens pour autoriser l’utilisation de son matériel militaire, il est clair que les relations avec la Russie se détérioraient davantage, voire à un point de non-retour. Mais la Suisse a-t-elle encore les moyens de ménager plus longtemps la chèvre et le chou? À Berne, on veut y croire. C’est un pari sur l’avenir, qui implique la fin du conflit dans un futur proche et le retour à une certaine normalité avec la Russie sur la scène internationale.

«Business as usual»

Mais nos voisins européens ne sont pas dupes. Dans un article paru ce vendredi sur le site de RTBF, intitulé: «Guerre en Ukraine: des sanctions mais pas d’armes, que signifie vraiment la neutralité de la Suisse?» Michel Liégeois, professeur à l’Institut de sciences politiques de Louvain Europe, donne une des raisons de cette neutralité à géométrie variable, qui colle à la réputation de la Suisse: «La neutralité est aussi un statut qui convient assez bien pour permettre au système bancaire suisse, qui reste un élément important de sa prospérité, de se déployer sans être trop perturbé par des prises de position politiques du gouvernement suisse qui seraient trop disruptives, ou mettraient la Suisse en porte à faux par rapport à certaines régions du monde ou certains pays. Le fait d’être neutre permet au système bancaire suisse de faire son petit business as usual, notamment parce que la Suisse ne montre peut-être pas autant de zèle que d’autres pays à appliquer certaines sanctions internationales».

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