FootballRaul Bobadilla, l’ancien enfant terrible, a bien grandi
Revenu en Suisse cet hiver, l’attaquant paraguayen de 34 ans a balayé la réputation sulfureuse héritée de son début de carrière. Schaffhouse compte sur son leadership pour franchir le barrage contre Lucerne.
- par
- Brice Cheneval
Schaffhouse attend cela depuis 15 ans: regoûter aux joies de la Super League. Relégués en Challenge League en 2007, puis passés par la D3 entre 2011 et 2013, les Jaune et Noir n’ont jamais été aussi proches de retrouver l’élite. 2es au terme du championnat, ils ont gagné le droit d’affronter l’avant-dernier de Super League - en l'occurrence Lucerne - en barrage aller-retour. La première manche a lieu ce jeudi à Schaffhouse (18h), avant l’acte II à la Swissporarena de Lucerne dimanche après-midi (16h30).
La dernière fois que Schaffhouse a disputé un match de première division, le football helvétique découvrait Raul Bobadilla. Arrivé à Concordia Bâle à l’été 2006 en provenance de River Plate, l’attaquant paraguayen s’apprêtait à boucler un exercice réussi en Challenge League (18 buts en 28 matches), qui allait lui ouvrir les portes de Grasshopper dans la foulée. Le début d’une histoire singulière entre lui et la Suisse, qui ne devait constituer pour lui qu’un tremplin.
Frasques en pagaille
Doté d’un talent rare, Bobadilla était voué à rejoindre un grand championnat. 15 ans plus tard, il a ressenti «un bonheur immense» de signer à Schaffhouse, revenir dans un pays qui lui a «beaucoup donné» et l’a «vu grandir en tant que footballeur», selon ses termes. Là, aussi, où il a réalisé une bonne partie de ses frasques. Comme en 2013 quand, alors au FC Bâle, il est flashé à 111 km/h dans une zone 50 avec une Maserati. Pendant des années, le natif de Buenos Aires a enchaîné les écarts de conduite. «C’est l’un des plus foufous avec qui j’ai joué, se souvient Raphaël Nuzzolo, son coéquipier à Young Boys en 2012. À l’époque, ce n’était pas possible de le canaliser. Il était très instable.»
Enfant des bidonvilles, Raul Bobadilla a grandi dans la précarité, entouré par la violence et les destins dramatiques. «Sans football, je serais peut-être en prison. Ou mort, comme certains de mes amis d’enfance», disait-il dans une longue interview à Blick en 2019. Le Paraguayen a eu du mal à se défaire de cette tare et affiche en plus un tempérament volcanique. Un cocktail explosif. Pendant son passage à Mönchengladbach (2009-2011), il est attrapé en état d'ébriété au volant. Il traînera longtemps une réputation d’ingérable et multipliera les clubs (déjà 12 depuis le début de sa carrière).
Pourtant, ses aptitudes n’ont jamais été remises en question. «Il pouvait faire des différences incroyables, se remémore Raphaël Nuzzolo. Il réalisait des gestes d’attaquant de très haut niveau. C’était un taureau, quand tu lui rentrais dedans, c’est toi qui morflais! Mais il allait vite, avait une bonne frappe et cette finesse technique très sud-américaine. Dos au but, il contrôlait de la semelle et orientait ensuite sur les côtés. Il avait une bonne vision du jeu. S’il avait été plus stable, Raul aurait pu jouer dans de très gros clubs.» Lui-même conscient du gâchis, le principal intéressé s’était fendu d’un parallèle osé à Blick: «J’aurais pu avoir une plus grande carrière que Mohamed Salah.»
À Schaffhouse grâce à Murat Yakin
Marqué par ses expériences en Suisse, Bobadilla a toujours entretenu le désir d’y revenir. Schaffhouse a exaucé son souhait en février, par l’entremise de Murat Yakin. L’actuel sélectionneur de l’équipe nationale a coaché l’avant-centre à Concordia puis à Bâle - il était aussi entraîneur adjoint durant son passage à GC - et les deux hommes ont conservé une relation forte. Par ailleurs, Yakin a gardé des liens avec son ancien club, notamment parce que son frère Hakan fait encore partie du staff technique, et en a profité pour glisser le nom de Bobadilla aux dirigeants. Contrairement à d’autres clubs, Schaffhouse n’a pas été refroidi par son passif et les craintes autour de sa condition physique, à 34 ans. «Ici, j’ai trouvé une famille, indique-t-il. Tout le monde m’a merveilleusement reçu, je me suis senti bien dès les premiers instants.»
Au sein d’une équipe jeune (24,5 ans de moyenne d’âge), il se voit confier la responsabilité de leader. «Il a cette expérience que les autres autour de lui n’ont pas, abonde l’entraîneur, Martin Andermatt. Il doit montrer le chemin.» Mission parfaitement accomplie jusqu’à maintenant: depuis ses débuts, le 11 mars contre Yverdon, les Jaune et Noir présentent le meilleur bilan du championnat. Si bien qu’ils ont grimpé de la 4e place à celle de barragiste.
Tout le mérite ne lui revient pas, mais il a grandement contribué à cette ascension. Dès sa première sortie, il claque un spectaculaire retourné acrobatique. Suivront quatre autres buts et une passe décisive en neuf rencontres. L’homme est heureux. «Le plus important pour un joueur, c’est de recevoir de la confiance. Raul en a beaucoup reçu chez nous et il nous le rend bien, estime Martin Andermatt. Il s’entraîne très dur. Il a amélioré l’équipe par sa créativité, sa légèreté d’esprit aussi.»
À l’occasion du Schaffhouse - Xamax du 1er avril, Raphaël Nuzzolo a recroisé son ex-coéquipier. Et l’a trouvé changé: «Je l’ai trouvé en forme physiquement, à peu près semblable aux images que je gardais de lui. et toujours aussi dangereux. En revanche, je l’ai trouvé plus collectif. Il a laissé deux penalties à son partenaire d’attaque (ndlr: Joaquín Ardaiz) et le servait énormément. Ça, il ne l’aurait probablement pas fait avant.»
Raul Bobadilla n’est définitivement plus le même. Entre son départ de Bâle en 2013, où il avait fini par perdre le soutien de Murat Yakin, et son arrivée à Schaffhouse, l’enfant terrible a bien grandi. «J’ai commis des erreurs, je les ai payées. J’ai appris de cela et désormais, c’est du passé. Devenir papa a chamboulé ma vie. J’ai arrêté les sorties nocturnes, comme plein d’autres choses. J’ai trois enfants. Quand j’entre sur le terrain et que je les aperçois, je ne peux pas me comporter n’importe comment. J’ai appris à me calmer.»
Bobadilla n’a certes pas mené une carrière à la hauteur des attentes placées en lui, mais ramener Schaffhouse en Super League constituerait un bel accomplissement. L’issue du barrage peut-elle orienter la suite de sa carrière? «Notre volonté, avec ma famille, est de rester ici, coupe-t-il. On se sent bien, les enfants y sont inscrits à l’école. On verra après le barrage si le club souhaite me garder. En tout cas, ce serait ce qu’il y a de mieux pour moi. Et si ce n’est pas possible, au moins rester en Suisse.»
La stabilité comme vertu cardinale: voilà à quoi aspire le nouveau Raul Bobadilla.