Qatar 2022Nasser Al-Khelaïfi accusé d’avoir détruit des documents compromettants
Le président du PSG est au centre d’une affaire liée à l’obtention du Mondial de football par le Qatar. Son porte-parole nie farouchement.
Le patron du PSG a-t-il voulu détruire des documents compromettants liés à l’obtention par le Qatar du Mondial de foot, qui démarre ce dimanche? C’est ce qu’affirment plusieurs protagonistes dans une retentissante affaire qualifiée de «manipulation totale» par le porte-parole de Nasser Al-Khelaïfi.
Cette histoire à tiroirs, mêlant soupçons d’espionnage privé, de chantage et accusations de tortures, éclate au grand jour fin septembre, quand trois hommes sont mis en examen à Paris pour trafic d’influence et corruption notamment.
Arrêté et torturé
Parmi eux, le lobbyiste franco-algérien Tayeb Benabderrahmane, et Malik Nait-Liman, un ex-policier des services de renseignement, embauché en 2018 comme référent supporters au PSG. Ils sont soupçonnés d’avoir transmis des informations confidentielles sur certaines personnes issues de fichiers de police, notamment au club de football parisien. Mais dans ce dossier se niche une autre affaire: M. Benabderrahmane raconte avoir été arrêté en janvier 2020 au Qatar, où il s’était installé trois mois auparavant pour en assurer le lobbying.
Il dit avoir été incarcéré pendant six mois et torturé, puis assigné à résidence et finalement autorisé à partir en novembre de la même année, après avoir accepté de signer un protocole de confidentialité dans lequel il s’engageait à ne pas divulguer des documents «sensibles» sur Nasser Al-Khelaïfi.
Poursuivis en Suisse
Quels étaient ces documents? A-t-il tenté de faire chanter le patron du PSG? Selon un rapport du 29 septembre de la Direction générale de la sécurité intérieure et l’Inspection générale de la police nationale, révélé par Libération et consulté par l’AFP, il pourrait s’agir d’une part de vidéos intimes du patron du PSG avec sa maîtresse; d’autre part de conversations contenues dans un téléphone ayant appartenu à Nasser Al-Khelaïfi, avec Jérôme Valcke de la FIFA et l’émir du Qatar Tamim ben Hamad Al Thani, liées à l’organisation de la Coupe du Monde du Qatar ou à l’attribution de droits TV.
M. Al-Khelaïfi, également président du groupe beIn Media, et M. Valcke ont été poursuivis en Suisse, accusés d’avoir conclu un pacte dans le dos de la FIFA dans une affaire de droits TV liée aux Mondiaux 2026 et 2030. Ils ont été acquittés en octobre 2020, puis à nouveau en appel en juin 2022. Comment Tayeb Benabderrahmane se serait-il retrouvé en possession de ces documents?
Faire du «nettoyage»
En garde à vue, le lobbyiste a raconté qu’Hicham Karmoussi, majordome marocain de Nasser Al-Khelaïfi pendant vingt ans, licencié en juin 2020, lui avait demandé en 2018 de mettre en lieu sûr en Algérie un téléphone portable, un disque dur et une clé USB contenant des données relatives au patron du PSG. Il lui avait aussi remis une extraction des données du téléphone de ce dernier.
Hicham Karmoussi a raconté vendredi à Mediapart avoir aidé Nasser Al-Khelaïfi, inquiet des enquêtes en France et en Suisse le visant, à faire du «nettoyage» dans son appartement parisien avant une éventuelle perquisition et avoir gardé certaines choses en sa possession. Il dit avoir remis «seulement le téléphone» à M. Benabderrahmane.
M. Karmoussi, dont le domicile a été perquisitionné le 20 octobre, a été entendu mardi comme témoin à l’office anticorruption (Oclciff) chargé des investigations sur les conditions d’attribution du Mondial 2022. «Hicham Karmoussi a travaillé au service de Monsieur Al-Khelaïfi pendant de nombreuses années et il est logique que la justice ait souhaité l’entendre comme témoin», a déclaré à l’AFP son avocat Antoine Ory.
Deux plaintes déposées
Par ailleurs, «il s’attend à être prochainement entendu par l’autorité judiciaire» dans le cadre de l’information judiciaire dans laquelle M. Benabderrahmane et M. Nait-Liman ont été mis en examen, selon l’avocat.
De son côté, M. Benabderrahmane a déposé en août deux plaintes avec constitution de partie civile à Paris: la première pour tortures, arrestation et séquestration, où il dénonce son incarcération au Qatar, et la deuxième pour extorsion et subornation de témoin, ciblant le rôle des avocats ayant œuvré à la signature du protocole. Il a versé en fin de semaine la consignation fixée par le doyen des juges d’instruction, préalable nécessaire à la désignation d’un magistrat enquêteur.
«Manipulation totale»
«Cette cohérence globale dans les enquêtes qui seront menées permettra de révéler les rouages complexes à l’œuvre dans les relations politico-financières entre la France et le Qatar dont M. Benabderrahmane a été la victime», ont estimé ses avocats dans un communiqué.
«Il n’y a jamais eu d’exemple aussi clair de manipulation totale et éhontée des médias – des mensonges et des inventions d’individus cherchant à détourner l’attention du fait qu’ils sont poursuivis pour une multitude de crimes contre une série de personnes», a réagi auprès de l’AFP un porte-parole de Nasser Al-Khelaïfi.
Les protagonistes de cette affaire «ont modifié leurs histoires plus qu’ils n’ont changé d’avocats – et les mensonges deviennent de plus en plus fantaisistes de semaine en semaine», balaye le porte-parole. «Nous laisserons sereinement la procédure judiciaire suivre son cours et c’est le droit qui prévaudra au final».