Formule 1Lewis Hamilton: «A Djeddah, la F1 est en danger»
C’est la première fois qu’un Grand Prix est organisé en Arabie saoudite. Après la première journée d’essais, le circuit de Djeddah s’avère terriblement dangereux.
- par
- Luc Domenjoz
Un tracé de folie
Mardi, trois jours avant les premiers essais, le circuit de Djeddah n’était pas encore terminé, des ouvriers – probablement payés quelques dollars par jour – s’affairaient pour apporter les dernières touches aux barrières, aux stands ou aux tribunes des spectateurs.
Mais vendredi, pour les deux heures d’essais libres – terminés sous la lumière artificielle – tout fonctionnait. Après avoir beaucoup tourné sur des simulateurs pour se familiariser avec cette nouvelle piste, les pilotes l’ont vite adopté.
Qualifié de «mélange entre Silverstone et Suzuka, mais en ville, sans les dégagements», le circuit s’est très vite révélé dangereux, voire extrêmement dangereux.
Il s’agit d’un tracé urbain, mais en même temps, ce qui en montre la folie, il est aussi le deuxième circuit le plus rapide de la saison (avec 250 km/h de moyenne, juste derrière Monza). Monza est taillé de lignes droites pour atteindre ces vitesses, mais le circuit Corniche de Djeddah, lui, compte… 27 virages, tracés le long de la mer, avec des murs de béton pour border la piste, pratiquement sans aucun dégagement.
Le pire, c’est la visibilité. Beaucoup de virages sont aveugles, les pilotes ne voient pas ce qui les attend, la zone devant eux étant cachée par les murs de béton. La trajectoire la plus rapide consiste évidemment à raser ces fameux murs, quitte à se faire de grosses frayeurs quand un pilote déboule derrière des monoplaces au ralenti – quand elles sont dans un tour de chauffe ou un tour de ralentissement.
Pendant les qualifications (qui auront lieu ce samedi après-midi, à 18 heures, heure suisse), la situation sera particulièrement dangereuse. «Ici, c’est bien pire que sur d’autres circuits. C’est du genre Monaco, mais avec bien plus de vitesse», remarque Lewis Hamilton. A Monaco, la vitesse moyenne, en qualifications, est de 170 km/h. «Ce circuit est incroyablement rapide, il est fou, et le revêtement a beaucoup d’adhérence. Mais une fois qu’on est entré dans le rythme, c’est plutôt sympa.»
«Ce n’est pas que les autres conduisent dangereusement, précise Lando Norris. Mais on ne voit rien derrière ces murs. Gérer le trafic sera extrêmement difficile pendant les qualifications. On va se fier à nos ingénieurs, mais ça sera sûrement chaotique.»
Grosse frayeur pour Charles Leclerc
Comme il n’existe pratiquement pas de dégagement et que la vitesse est très élevée, les sorties de route peuvent engendrer de gros dégâts.
C’est qui est arrivé à Charles Leclerc, quatre minutes avant la fin des essais libres, vendredi soir. A la sortie du virage 22, un long gauche, le Monégasque a perdu l’arrière de sa voiture à 260 km/h. La Ferrari est partie taper les barrières de plastique de l’arrière, un choc qui a totalement détruit la monoplace dont il ne restait qu’une épave fumante.
Indemne, Charles Leclerc a reconnu que ce circuit ne pardonne aucune erreur: «Il n’y a pas de place pour la moindre faute ici, et le plus grand défi sera de trouver le bon rythme. Mais c’est assez excitant de piloter sur cette piste, je suis désolé que les mécaniciens aient beaucoup de travail pour réparer ma voiture…»
Hamilton « plus relax que jamais »…
Alors qu’il reste deux Grands Prix cette saison, Lewis Hamilton se présente en favori en Arabie Saoudite, ce week-end. Vendredi, il a signé le meilleur chrono des deux séances d’essais libres, tandis que Max Verstappen semblait rencontrer de petits problèmes de réglages.
Avec huit points de retard, le Britannique est moins bien placé que son rival au championnat, mais il pourrait terminer, dimanche, à égalité parfaite de points avec lui s’il gagnait cette course (avec le point du meilleur tour) devant la Red Bull.
La pression est énorme, mais Lewis Hamilton se déclare décontracté: «Personne n’a jamais remporté huit titres mondiaux (ndlr: il en compte sept actuellement), ce serait donc nouveau. Mais d’un autre côté, je me sens plus décontracté que jamais, parce que je suis en F1 depuis très longtemps, et que ce n’est pas la première fois que je vis un tel duel. Je me souviens très bien de mon premier titre, et même du deuxième et du troisième: je ne dormais plus, j’étais nerveux. Aujourd’hui, je me sens nettement plus sûr de moi, et je me concentre mieux que jamais…»
… mais mal à l’aise de courir en Arabie saoudite
C’est la première fois que la F1 se rend en Arabie saoudite, qui a signé un contrat mirifique de dix ans avec Liberty Media, la société qui détient les droits commerciaux de la F1 et qui négocie avec les circuits.
En Arabie saoudite, on parle de 60 millions de dollars par an versés à Liberty Media, un record absolu – Abu Dhabi verse 45 millions par course, les circuits européens environ 20 millions, Monaco et Montréal 12 millions.
Ce montant impressionnant a certainement aidé les dirigeants de la F1 à s’asseoir sur leurs précédentes considérations au sujet des droits de l’homme (Ross Brawn, l’un des patrons de Liberty, avait affirmé en 2018 que la F1 n’irait pas en Arabie saoudite, précisément en raison de la situation des droits de l’homme).
Dans le paddock, la charria ne s’applique pas de la même manière qu’en ville. Les mécaniciens peuvent travailler en shorts, et les femmes n’ont pas l’obligation du voile tant qu’elles restent dans l’enceinte du circuit.
Peu de pilotes souhaitent commenter la situation politique ou les entorses aux droits de l’homme perpétrées dans le pays – où l’athéisme et l’homosexualité restent passibles de la peine de mort. Chacun affirme ne pas se mêler de politique.
Sauf Sebastian Vettel, qui a organisé une course de karting pour femmes. Et sauf Lewis Hamilton, qui portera encore son casque aux couleurs LGBTQ+ et qui a confirmé son malaise à rouler dans le pays: «Je crois que si nous sommes dans un pays, nous devons en profiter pour faire connaître les problèmes ayant rapport avec les droits de l’homme dans ce pays-là. Mais je ne suis pas à l’aise ici. Les gens sont très aimables, on a reçu un bon accueil, oui, mais je ne me sens pas confortable. Venir ici, ce n’est pas mon choix. La F1 a choisi de venir ici, et que ce soit une bonne ou une mauvaise décision, nous devons en profiter pour attirer l’attention sur les problèmes. Des changements doivent être faits dans ce pays, et notre sport doit en faire plus pour y aider. Ici, il y a encore des femmes en prison pour avoir conduit des voitures avant que la loi change, en 2018.»
En réponse à ces propos, le prince Khalid bin Sultan al-Faisal a commenté au sujet de Lewis Hamilton qu’il était «bon» qu’il exprime ses croyances. «Pour quelqu’un de sa culture et de sa provenance, je comprends. Qu’il fasse ce qu’il pense être bien, nous respectons son opinion. Mais nous avons aussi nos traditions et notre culture.»
Pas sûr qu’en dépit de ses efforts rhétoriques, Lewis Hamilton parvienne à faire bouger les choses en Arabie saoudite. C’est même le contraire qui est certain!