Sans appareil photo, ils donnent naissance à des images inédites

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BienneSans appareil photo, ils donnent naissance à des images inédites

Un couple biennois fabrique des images en exposant du papier à la lumière, ni plus, ni moins.

Vincent Donzé
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Vincent Donzé

Poser un papier à la lumière et à la chaleur, telle est la démarche minimaliste du duo d’artistes biennois F&D Cartier. Un papier, certes, mais pas n’importe lequel: photosensible, fabriqué pour des tirages noir/blanc. Et pour quel résultat? Un monochrome, dont la couleur échappe aux concepteurs. Le papier vire au saumon, au magenta ou au pourpre selon le climat.

«The never taken images» indique en anglais que personne n’a pris de photo: Françoise et Daniel Cartier fabriquent des images en sortant des papiers photosensibles de leur carton, ni plus, ni moins. Elle est plasticienne, il est photographe: leur mariage artistique s’est épanoui dans le photogramme, mais pas seulement.

Du pixel

F&D Cartier ont démultiplié un concept opposé à la technologie du pixel. Un catalogue édité à Zurich par «Scheidegger & Spiess» répertorie les interventions du couple, présentées dans les musées et les galeries du monde entier, à partir d’une matrice conceptuelle imaginée en 1998 pour un concours sur «le temps d’être suisse».

Cette année-là, dans une série intitulée «Wait and See», F&D Cartier ont présenté une installation de 26 papiers vierges photosensibles noir/blanc de différents formats et surtout, de différentes origines: le papier réagit différemment à la lumière et à la chaleur selon sa composition.

Flux d’images

Exposés à la lumière du jour, ces papiers ont pris des tons monochromes allant du violet au jaune en passant par tous les roses. Il s’agit pour les deux artistes d’explorer les principes de base de la photographie et de questionner le flux d’images photographiques produites à l’ère numérique.

Les artistes utilisent des papiers photographiques périmés des années 1890 à 2000. Leur sensibilité est abîmée, mais ils réagissent à la lumière. F&D Cartier n’utilisent plus de fixatif, si bien que la couleur ne cesse d’évoluer: le processus est lent, mais continu.

Noircir les sels

Sans appareil photo, ni photochimie, le duo donne naissance à des images qui n’ont jamais été prises, tout en examinant leur potentiel. Leur expérience simplifiée est radicale: elle renvoie aux premiers jours de la photographie, lorsque la lumière était le principal moyen de noircir les sels d’argent.

«La lumière imprègne la couche photosensible et déclenche son orientation colorimétrique», détaillent les artistes en rappelant que photographier signifie «écrire avec la lumière». Plus les papiers sont anciens, et plus leur réaction à la lumière ambiante est lente.

Star américaine

Les artistes voyagent beaucoup et pas seulement sur invitation. Ils sont tombés sur des papiers soviétiques expirés produits à Kiev, comme sur des papiers photographiques de la star américaine des paysages Ansel Adams, chimiste accompli.

En 2003 déjà, «Le Matin» s’interrogeait: «La vie est-elle rose tous les jours pour Françoise et Daniel Cartier?». À cette époque, leur quête artistique baignait dans cette couleur intime, enfantine, coquine… Le rose était apparu par hasard, quand un papier photographique destiné à un tirage noir-blanc a été exposé à la lumière du jour.

Écœurés par le rouge sang, fatigués par l’image numérique, F&D Cartier ont commencé par se purifier dans la technique du photogramme: ils posaient alors un objet sur du papier sensible, ici une robe de Barbie, là des cheveux perdus… En empêchant le passage de la lumière du jour, le sujet choisi laissait son empreinte sur le papier, avec pour seul effort: la patience…

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