Vaud – NeuchâtelLe célèbre luthier accusé d’escroquerie finira-t-il au violon?
Ce mardi matin s’ouvre à Lausanne le procès d’un artisan neuchâtelois de renommée mondiale. Celui-ci aurait grugé plusieurs investisseurs à coups de millions.
- par
- Evelyne Emeri
«Pape de la lutherie» il y a vingt ans, auteur de plusieurs ouvrages de référence, conférencier, artisan de renommée mondiale. Le procès qui débute ce mardi matin à Lausanne sonne comme une fin de partition. La supercherie du luthier chaux-de-fonnier de 66 ans semble avoir fonctionné durant de longues années – entre 2005 et 2017 – selon l’accusation accablante du parquet vaudois.
L’homme, qui a voulu faire commerce d’instruments de musique, existants ou pas, aux dépens d’autrui, a pourtant déjà des antécédents similaires dans les cantons de Genève et de Berne. Et une enquête est toujours en cours en Italie où il a vécu à Rome de 2004 à 2015 avant de revenir s’installer dans le canton de Neuchâtel. L’absence de collaboration de la justice italienne aurait passablement ralenti la présente instruction.
7,5 millions au moins
Dans le canton de Vaud, c’est la plainte d’une violoniste en 2013 qui lance la procédure: elle lui confie son bien évalué à 120 000 francs pour qu’il le revende. Elle ne le reverra jamais, pas plus que son archet, et retirera même sa dénonciation. Par chance, en embuscade, il y a une dizaine d’autres lésés. Parmi les personnes bernées: d’autres privés, des connaissances, des amis, plusieurs sociétés et, surtout, un plaignant principal, Antoine*. C’est sans aucun doute ce dernier, un homme d’affaires soudainement fasciné et intrigué par l’art du prévenu qui a permis de renvoyer le luthier devant un Tribunal correctionnel. À lui seul, ce même plaignant comptabilise un préjudice estimé à 7,5 millions par le procureur Arnaud Bregnard, alors qu’Antoine chiffre provisoirement ses prétentions civiles à près de 2,9 millions qu’il céderait à l’État…
Plaignant aveuglé
Ce mardi et ce mercredi 16 et 17 mai, près de 20 ans après les premières infractions retenues, le sexagénaire neuchâtelois répondra d’abus de confiance, d’escroquerie par métier, de gestion déloyale, de faux dans les titres, subsidiairement de faux dans les certificats. À parcourir l’acte d’accusation du Ministère public vaudois, Antoine s’est investi et a investi aveuglément, alors qu’il avait réussi dans le milieu des télécommunications. Les deux hommes se rencontrent en 2004. Ils concluent rapidement leurs premières affaires, avec succès.
L’accusé achetait d’anciens violons, prétendant les revendre avec une marge importante qu’il partageait avec son mécène. Il gagne ainsi la confiance de son futur «associé». Précisément, fin 2005 - début 2006, lui et Antoine s’associent de manière informelle. Le premier est censé se charger de trouver des pièces rares, le second, déjà à la tête de trois sociétés sises à Lausanne (téléphonie, immobilier, transport), avance les fonds nécessaires.
Un Stradivarius!
Antoine crée même une société ad hoc visant le commerce d’instruments anciens et nouveaux, société aujourd’hui faillie et dont l’accusé n’a jamais acquis la moindre part. Le procédé astucieux a non seulement frappé «l’associé» du luthier mais également ses proches, son réseau, ses fiduciaires, ses organes de révision, etc. En mai 2016, il porte enfin plainte contre l’escroc présumé après lui avoir versé des sommes astronomiques pour l’achat d’objets prétendument en sa possession ou, pire, fictifs. Pour exemple, un Stradivarius fabriqué en 1695 par le Maître Antonio Stradivari ou encore un «violon rouge», également signé du luthier italien incontesté, ou encore des «violons romains» soi-disant prêtés à des futurs acquéreurs.
Sa collection en garantie…
Pour convaincre ses investisseurs de son expertise et de sa bonne foi, l’accusé a été jusqu’à constituer un nantissement sur sa collection personnelle de tableaux, de violons d’époque, d’autres instruments de musique et de pochettes. Le tout d’une valeur alléguée de 3,6 millions et assurée pour 5,3 millions. Cette garantie rassurait les potentiels acheteurs auxquels le Chaux-de-Fonnier a omis de préciser que des pièces importantes avaient été extraites de ladite collection.
L’audience de ces deux prochains jours s’annonce plus rock 'n' roll que classique. Avec un face-à-face entre un artisan qui s’est visiblement enfoncé dans le mensonge parce que rattrapé par les dettes et un homme d’affaires soudainement épris d’un monde culturel inconnu. Deux individus à contre-courant et une question centrale: quid des violons (ou autres) réellement acquis et/ou du butin des opérations frauduleuses?
*Prénom d’emprunt