CorruptionAccusés d’avoir extorqué 14 millions à Swatch Group
Un fournisseur chinois est soupçonné d’avoir graissé la patte de trois employés de la holding pour s’assurer des commandes volumineuses. Les charges qui pèsent contre eux sont lourdes.
- par
- Evelyne Emeri
L’affaire avait ébranlé et éclaboussé la planète horlogère lorsqu’elle a éclaté en 2018. Elle était restée discrète durant quatre ans. Swatch Group - et ses marques directement concernées Tissot et Calvin Klein - avait porté plainte en 2014 déjà. Une instruction fleuve, parsemée de recours, de faits contestés par la défense, de nouvelles mesures d’instruction, de recherches de fonds litigieux… Et trois ans après les premières révélations, une date. Celle du procès criminel qui débutera jeudi prochain 26 août.
Neuf ans de pots-de-vin
Durant neuf ans, à Hong Kong, au Locle (NE) et à Bienne, entre 2006 et 2015, un sous-traitant de composants horlogers aurait corrompu deux collaborateurs des montres Tissot et un troisième de Calvin Klein (ndlr. CK Watch & Jewerly). Objectif de cet homme d’affaires: la poursuite de sa collaboration avec les deux filiales de Swatch Group, l’obtention privilégiée de nouveaux contrats et, partant, l’assurance d’un volume de commandes substantielles.
Gestion déloyale, blanchiment…
À lire la mise en accusation de la procureure neuchâteloise Vanessa Guizzetti Piccirilli, les montants distribués sont colossaux et supérieurs aux premiers chiffres articulés jusqu’ici. Plus de 14 millions de francs suisses - dont plusieurs ont été saisis par la justice - auraient fini dans les poches des trois employés incriminés. La magistrate a retenu à leur encontre la corruption passive, la gestion déloyale et le blanchiment d’argent.
… et corruption active
Le quatrième prévenu n’est autre que ce fournisseur sous-traitant de Hong Kong, actionnaire dans diverses sociétés qu’il aurait utilisées pour soudoyer ses acolytes. Cet homme de 50 ans aurait aussi agi en son nom propre. Il devra, pour sa part, répondre de l’infraction de corruption active et non passive, et, comme les autres, de gestion déloyale et de blanchiment d’argent.
Responsables commandes et qualité
Les trois collaborateurs des marques de montres et bijoux ont été plus ou moins gâtés par leur «mécène» chinois, ainsi que l’indique le Ministère public neuchâtelois. Deux étaient responsables qualité de leur marque respective, le troisième, responsable des commandes chez Tissot. Il leur est reproché de s’être enrichis illégalement à l’insu de leurs employeurs. Tous ont perdu leur travail au moment de la découverte tardive du pot aux roses. Aucun d’entre eux n’a été détenu.
En mains propres
Ainsi, un horloger de 62 ans n’aurait pas hésité à accepter des enveloppes plusieurs fois par an pour une somme globale d’un million de francs, émanant de fournisseurs de Tissot non identifiés. Il aurait également profité de six voyages en famille, gracieusement offerts. Il aurait enfin touché plus de 350 000 francs de l’homme d’affaires hongkongais, remis en mains propres par ce dernier ou un intermédiaire en plusieurs fois (chèques).
Le plus gros lot
Le plus choyé est un ingénieur de Tissot de 61 ans. Le parquet précise que le montant exact perçu reste indéterminé, mais se compte en plusieurs millions, soit au moins 13’230’000 francs. Le collaborateur de Calvin Klein, manager de 46 ans, aurait reçu, quant à lui, près de 700 000 francs par virements bancaires de la part du prévenu chinois. La somme totale du préjudice se monterait à 14’280’000 francs, sans compter le million supplémentaire et les voyages payés par des fournisseurs de Tissot, introuvables.
Tribunal criminel
Comparaîtront sur le banc des accusés les deux anciens employés de Tissot et celui de Calvin Klein, ainsi que leur «donateur» asiatique. Face à eux quatre se tiendront les parties plaignantes: Tissot SA et CK Watch & Jewerly Co. Le procès est prévu sur deux jours, les jeudi 26 et vendredi 27 août, à La Chaux-de-Fonds.