FootballRaphaël Nuzzolo: «Avant Anfield, je priais pour ne pas me blesser»
Raphaël Nuzzolo, mythique attaquant de Xamax, a annoncé qu’il prendrait sa retraite à l’issue de la saison. Grand entretien avec l’un des joueurs romands le plus en vue des vingt dernières années.
- par
- Elias Baillif
Raphaël Nuzzolo, depuis quand saviez-vous que vous alliez prendre votre retraite?
Ça fait peut-être entre un et deux mois. J’ai senti que tout allait jouer pour que j’arrête cette saison. On est dans un exercice difficile, mais il n’y a pas que ça. L’année passée, je me posais déjà grandement la question.
Pourquoi l’annoncer maintenant et pas après les barrages de fin de saison?
On était encore à la bataille pour essayer de rattraper les équipes de devant. Et puis à partir du moment où j’estimais qu’on finirait dernier et qu’on devrait se concentrer sur les barrages, c’était le bon moment pour annoncer ma retraite. Maintenant, j’ai le temps de digérer cette annonce et de donner les dernières forces qu’il me reste, pour ces fameux barrages.
Peut-être que peu de monde le sait, mais après votre arrivée à Xamax, vous avez joué un temps en deuxième ligue inter. Quels souvenirs en avez-vous?
Je me souviens qu’on jouait contre des clubs que je connaissais bien, puisque je venais de Bienne à la base, et que j’avais joué en Première Ligue. Et puis j’ai pris ça comme un défi, pour essayer de performer en 2e ligue inter et me montrer positivement pour essayer de revenir en première équipe. C’était un moment aussi où j’étais à l’armée. Donc finalement, c’était aussi un mal pour un bien de ne pas être en première équipe tout de suite, car c’était difficile de conjuguer les deux.
Quand vous arrivez dans le vestiaire de la première équipe, avant de redescendre en deuxième ligue inter, qui est votre premier mentor?
Je dois beaucoup à Alain Geiger, qui est venu me chercher à Bienne et qui m’a quand même donné ma chance de pouvoir intégrer un contingent de Super League. Et puis après, c’est vrai qu’on était quand même une bonne bande de copains, de jeunes qui avaient faim. Il y avait par exemple Steve [von Bergen]. C’est là que s’est créée cette amitié. Je dirais aussi Eddy Barea qui était là avant et Alexandre Rey, qui nous a rejoints six mois après. J’ai senti que ces deux m’aimaient bien et ça m’a donné beaucoup de confiance pour commencer ma carrière.
Lors de la remontée en Super League en 2007, l’ambiance dans le vestiaire a été la clé?
Oui. Avec Gérard [Castella], on a vraiment formé une bonne équipe sur le papier, avec un bon mélange entre anciens et jeunes. Notre leader, c’était Massimo Lombardo et puis Zubi (ndlr: Pascal Zuberbühler). On avait aussi des jeunes du club, comme Bastien Geiger. On a pris cette saison en Challenge League comme une rampe pour relancer le club de manière positive.
Quand Pascal Zuberbühler arrive à Neuchâtel, ça disait quoi dans le vestiaire?
Nous, on le voyait vraiment comme une star suisse. C’était notre gardien à la Coupe du monde 2006, il n’avait pas pris un but et quelques mois plus tard, on se retrouve avec lui dans les cages à Neuchâtel. C’était quelque chose d’impensable. Il a amené cette rigueur du haut niveau. C’était un peu la pierre qui manquait pour remonter en Super League. Moi, il m’a toujours poussé, avec ce charisme qu’il a toujours eu. Après je l’ai retrouvé à YB. Ça a été quelqu’un d’important pour moi.
Dans une interview lorsque vous aviez 24 ans, vous disiez avoir encore beaucoup de choses à améliorer dans votre jeu. Quel est le regard que vous portez aujourd’hui sur le joueur que vous étiez à cette époque?
J’étais un joueur qui avait énormément envie d’apprendre. J’étais conscient de mes lacunes et j’étais très rarement content de mes matches. Je n’évaluais pas bien les risques, je perdais beaucoup de ballons. À l’entraînement, sur des possessions de balle où il fallait juste garder la balle, j’avais de la peine. J’ai beaucoup travaillé pour améliorer cela. Les jeunes, ils ont cette vision de moi comme un joueur technique, qui s’en sort dans des situations difficiles entre les lignes. Mais au début, ce n’était pas le cas.
Alors justement, comment vous êtes-vous amélioré?
Ça passe par l’entraînement. Des possessions de balle. J’ai commencé par les bases en me disant «ok, je joue simple». Et puis j’ai commencé à essayer des choses qui ont marché. J’ai aussi beaucoup écouté les conseils des plus anciens. Et puis, je crois aussi que ce qui m’a aidé – et je ne l’ai pas souvent dit aux interviews -, c’est que je regardais énormément de matches. Ça m’a énormément aidé à comprendre le jeu.
Saut dans le temps, vous arrivez à Young Boys en 2011. Comment s’est passée la première saison?
La première saison, il a fallu la digérer. Il y avait de la concurrence, tu n’es plus chez toi dans ton petit club de Neuchâtel. Tu n’es plus, entre guillemets, le joueur qu’on chouchoute.
À Young Boys, vous connaissez les épopées en Europa League. Goodison Park, Anfield, le San Paolo: il y a un stade que vous retenez en particulier?
Anfield, ça restera spécial. La semaine avant le match, je priais pour ne pas me blesser. Et puis après, j’ai été titulaire. Pour moi, ça a été un grand moment. Aussi, jouer à Naples devant ma famille, ça a été spécial. Mon père a quitté Naples quand il avait 18 ans. Il n’avait que sa petite valise. Que son fils revienne jouer dans ce stade mythique, ça a été quelque chose d’extraordinaire pour ma famille en Italie.
À Berne, vous côtoyez des joueurs qui ont connu ou connaîtront l’équipe nationale (Zakaria, Steffen, Von Bergen). Avec le recul, vous étiez proche de leur niveau, ou au contraire, l’écart était
trop grand?
Les gens oublient vite mais quand j’avais 24-25-26 ans, en équipe nationale, il y avait de très gros joueurs. Que ce soit Frei, Hakan Yakin, Streller, Vogel, Patrick Müller, …C’était des gros noms qui avaient tous joué à l’étranger. C’était dur d’être sélectionné en jouant à Neuchâtel et je n’étais pas encore influent à tous les matches en Super League. Je pense quand même qu’à ce moment-là, j’étais assez loin du niveau.
Au moment de revenir à Xamax en 2016, en Challenge League, quelles sont les voix que vous avez écoutées et quelles sont celles que vous avez mises en sourdine?
C’est tout simple, c’est le cœur. Je sortais de cinq saisons à YB qui s’étaient très bien passées. J’aurais pu facilement trouver un autre club en en Super League – j’avais deux trois touches – mais je n’ai même pas discuté avec ces clubs-là. J’ai discuté avec Monsieur Binggeli (ndlr: président de Xamax à l’époque), le feeling est bien passé et puis j’avais des copains dans l’équipe. C’était un très bon choix, je suis vraiment content de l’avoir fait. Les trois ou quatre premières années où je suis revenu, c’était vraiment extraordinaire.
Vous n’avez jamais douté? Quand on fait 0-0 à Wohlen devant 1300 spectateurs, on ne se demande pas à un moment ce qu’on fait là?
Non, c’était toujours très clair. Je savais aussi que la première saison où je suis arrivé, il y avait Zurich et ça allait être très dur de monter en Super League puisqu’il n’y avait qu’un seul promu et pas de barrages. Mais pour moi, le chemin était clair. Je n’ai jamais douté une seule seconde du choix de revenir.
S’il ne fallait retenir qu’un seul moment de votre deuxième passage à Xamax, ce serait quoi?
Il y en a deux. La montée était belle. Personnellement j’ai aussi fait une super saison. Mais c’est vrai que de repartir pratiquement avec les mêmes joueurs qui étaient montés en Super League, de pouvoir garder cet esprit et de finir en apothéose avec ce barrage qui restera historique… Je prendrais presque cette année en Super League où on s’est sauvé face à Aarau (ndlr: en 2019).
Vous avez dit plusieurs fois qu’à ce stade de votre carrière, vous saviez mieux gérer votre corps et vous économiser. Concrètement, ça se manifeste comment?
Des fois quand tu es plus jeune, tu fais un appel où c’est pratiquement impossible qu’on te donne le ballon dans des bonnes conditions. Mais tu vas quand même au bout. Ça te fait perdre énormément d’énergie. Ces actions peuvent se répéter pas mal de fois dans un match. Et c’est là où l’expérience prend son sens: faire les bonnes courses au bon moment. Savoir que là «ok, il n’y a aucune chance, donc je ne fais pas d’appel». Ce qui est juste, d’ailleurs. Ce qui est faux, c’est de quand même faire l’appel même si tu n’as aucune chance qu’on te donne le ballon, de perdre de l’énergie au fur et à mesure des minutes, et de perdre en lucidité devant le but.
Et pour ce qui est du travail hors terrain? Certains joueurs disent qu’ils choisissent de perdre un kilo par année à partir d’un certain âge.
Non, je n’ai pas fait ce genre de choses. Pour moi, c’est plus une routine: je fais pratiquement toujours les mêmes semaines, j’essaie de faire que mon corps prenne ce rythme et s’habitue. Essayer de faire plus de choses avec mes enfants en début de semaine et plus on se rapproche du match, plus je fais attention. Finalement, dormir, boire et manger sainement. Des choses très simples.
Au-delà de la longévité, l’un des autres enjeux de votre carrière, ça a été le passage de l’aile au centre. Comment ça s’est fait?
En fait, j’ai été attaquant toute ma jeunesse, jusqu’à ce que je signe à Xamax à 18 ans. Alain Geiger, c’était souvent des grands qui jouaient devant avec lui. On jouait souvent des longs ballons. Donc forcément, à ce moment-là, il m’a dit «écoute, je crois que ce serait bien pour toi de commencer à faire ailier». Voilà une première décision qui a été bénéfique pour moi. J’ai dû apprendre le poste. Physiquement, j’étais capable de courir un peu plus et je me suis senti à l’aise à ce poste chez les adultes. Et puis après, pour la deuxième phase, c’est avec Michel Decastel. J’étais venu en 2016 comme ailier et un jour il manquait Gaetan Karlen et Dante Senger. J’ai dû jouer devant.
Mbappé a dit il y a un an que le football avait changé. Vous qui êtes dans ce monde depuis plus longtemps que lui, comment est-ce qu’il a changé ce football en 20 ans?
Il a énormément changé. Déjà le jeu. Il n’y avait pas de sorties de balle depuis derrière. Quand j’y repense, c’est fou de se dire que tous les cinq mètres, c’était des longs ballons du gardien. C’était pour toutes les équipes comme ça. Il n’y avait pas non plus de pressing. C’était des choses très basiques. En fait, on recrutait des joueurs et ils se débrouillaient sur le terrain. Au niveau des schémas, toutes les équipes jouaient à quatre derrière. Avant, on pouvait s’entraîner deux heures ou deux heures et quart de suite. Les entraîneurs n’avaient pas peur de fatiguer les joueurs pour le week-end.
Aujourd’hui, on affine, on analyse. Là avec les GPS, c’est le grand saut! Je ne suis pas fan à 100%, mais si on sait bien les utiliser, les données c’est toujours important. Bref, ce sont deux mondes différents.
Et puis c’est clair que la pédagogie, elle était moindre à l’époque. C’était beaucoup plus directif. Aujourd’hui, on chouchoute les joueurs. À 18 ans, tu as le droit de faire tes mauvais matches parce que parce que tu as le temps d’apprendre. À notre époque, ce n’était pas comme ça. C’est intéressant en fait d’avoir vécu les deux. Si on fait le ratio, pas mal de choses ont changé en mieux.
Vous êtes confiants pour l’avenir du football suisse?
Oui. On est l’un des pays qui forme le mieux. On est un championnat qui fournit d’excellents joueurs, qui commencent même à avoisiner des prix très intéressants. Avant, on était un peu bradé. Ça fait plaisir de voir qu’un Rieder, qui a fait son apprentissage dans les bureaux d’YB il y a trois-quatre ans, ils vont réussir à le vendre pratiquement dix millions. On a parlé de Zakaria avant, qui est un exemple à suivre. Zesiger aussi, qui est passé par Neuchâtel et qui va maintenant à Wolfsburg. Ce sont tout des exemples qui font du bien pour les prochains, qui voient un chemin.
À notre époque, ce n’était pas vraiment comme ça pour nous. À l’étranger il y avait Chapuisat, Sforza, David Sesa à Naples, Murat Yakin un peu aussi, Patrick Müller. Mais c’était vraiment les meilleurs des meilleurs. On avait de la peine à imaginer aller à l’étranger. Ce n’était pas réaliste. Aujourd’hui, les jeunes ont de nombreux exemples à suivre.
Dernière question: en mai vous terminerez le championnat, en juin vous disputerez les barrages, et en juillet?
Aujourd’hui, je voulais clarifier le fait que j’arrêtais à Xamax et que je n’y resterais pas non plus après ma carrière de joueur. Mais je ne sais pas exactement ce que je vais faire. Je ferai le point en fonction des opportunités qui viendront, en fonction de si le téléphone sonne ou pas. L’idée première, ce serait de rester dans le football. Je suis un passionné, qui a vécu beaucoup de choses sur et en dehors du terrain. Avec ce bagage-là, on verra quel métier je peux faire.